Orientations

La faim et la malnutrition, un problème structurel

Les membres de la Table de concertation sur la faim et le développement social du Montréal métropolitain (TCFDSMM) reconnaissent que le problème de la faim et de la malnutrition dans le monde et chez nous trouvent leur origine dans l’organisation mondiale du système alimentaire et, plus généralement, dans l’organisation sociale, économique et politique de nos sociétés. Ils s’indignent également des impacts désastreux sur la santé physique, psychologique et sociale des personnes vivant ce régime alimentaire.

Notre principe fondateur : le droit à une saine alimentation

Les membres de la TCFDSMM fondent leur mission et leurs interventions sur le droit à une saine alimentation pour tous et toutes, reconnu par la Charte des droits humains de l’Organisation des Nations unies et signée par nos gouvernements. Or, ce droit, rappelons-le, n’est pas celui d’être nourris, mais « d’avoir les revenus nécessaires pour se nourrir et nourrir sa famille ».

Notre but : la reprise du pouvoir des citoyens sur leur alimentation

Désirant faire reculer ce fléau et même, à terme, l’éradiquer, nous nous donnons comme but commun de regrouper les forces vives du Montréal métropolitain en sécurité et en solidarité alimentaires pour mieux soutenir nos concitoyens, notamment les plus pauvres d’entre nous, à reprendre du pouvoir sur leur alimentation, sur leur vie et sur le système alimentaire qui crée cette situation.

Nos valeurs communes : compassion, solidarité et justice sociale

En conséquence, ils reconnaissent qu’il est nécessaire, dans une société aussi riche que la nôtre, d’avoir de la compassion et de ne laisser personne aux prises avec la faim. Mais, ils reconnaissent également que, si nous voulons réellement faire reculer la faim, la malnutrition et la pauvreté, il faut faire plus et viser des transformations sociales s’adressant aux causes de cette situation inacceptable. Ils reconnaissent également que les solutions à ces maux doivent se baser et se construire sur d’autres valeurs importantes : la solidarité et la justice sociale entre tous les citoyens.

La solidarité alimentaire

Regroupés autour du concept de solidarité alimentaire, ces trois niveaux d’intervention se complètent entre eux. Ils sont en effet l’expression d’un parcours d’élévation de la conscience sociale que les organismes et leurs usagers sont invités à emprunter pour d’abord soulager la misère des plus pauvres d’entre nous, ensuite s’organiser entre nous pour faire plus et mieux avec le peu d’argent qu’on a et, sur la base de cette expérimentation de notre pouvoir collectif à changer les choses, se convaincre que l’on peut ensemble s’attaquer aux causes de cette situation et y apporter des solutions durables qui nous ressemblent et nous rassemblent.

Nos différentes formes de solidarité alimentaire


La plus connue et la plus répandue de ces solutions est évidemment le don alimentaire, associé couramment dans notre milieu à la sécurité alimentaire. Approvisionnés par les banques alimentaires ou par la charité des individus, les opérateurs de cette approche que sont les comptoirs alimentaires, les soupes populaires, les repas communautaires et les Magasins Partage répondent la plupart du temps à des situations d’urgence.

Mais, aussi nécessaires soient-elles pour aider les gens à survivre et à diminuer leur insécurité, ces interventions laissent toutefois la personne seule, de retour chez elle, pour affronter la situation qui l’a menée à cette extrémité. L’isolement lourd et pesant devant tous ses problèmes de survie demeure le même qu’avant. La détresse reste là, inchangée.

Et, de dépannage en dépannage, la personne ne voit pas la lumière au bout du tunnel. C’est que, aussi essentielle soit-elle pour dépanner quelqu’un en difficulté, cette aide directe, si elle se prolonge dans la vie d’un individu, a tendance à le confirmer dans son impuissance à solutionner des problèmes aussi élémentaires que sa survie.

Bref, au lieu de faire reculer réellement la pauvreté, le don alimentaire, à la longue, a tendance à la gérer. C’est pourquoi la sécurité alimentaire ne peut être un objectif de société. Elle ne crée pas une société plus en santé, ni plus égalitaire ou plus équitable. Cela ne veut pas dire qu’il faille abolir le don alimentaire, au contraire, mais plutôt qu’il comporte ses limites et qu’il nous faut faire plus.

Une autre solution aux problèmes de faim et de malnutrition consiste à baisser localement les prix des denrées alimentaires. La coopération alimentaire est l’approche privilégiée et déployée par plusieurs groupes communautaires et communautés locales. Cette approche consiste à acheter collectivement les denrées alimentaires à des prix de gros, souvent à les cuisiner ensemble et, parfois même, à les cultiver ensemble.

Différentes formules d’achats groupés ont déjà vu le jour comme les cuisines collectives, les groupes coopératifs d’achats, l’Agriculture soutenue par la communauté, Bonne boîte, Bonne bouffe, les épiceries communautaires, les épiceries solidaires et les coopératives d’alimentation et, dans un autre registre, les jardins collectifs.

Cependant, dans les achats groupés, la ligne de démarcation, au-delà des types de fonctionnements plus ou moins lourds, se situe souvent entre les organismes qui offrent à leurs usagers un simple service permettant d’économiser sur leurs achats de denrées sans liens d’entraide organisés et ceux qui partent de cette forme de solidarité économique pour aller plus loin et permettre à leurs membres de se constituer en réseaux citoyens d’économie, d’entraide et de mobilisation citoyenne.

Mettons cependant les choses au clair. Il ne s’agit pas ici de considérer une approche meilleure qu’une autre, mais de les évaluer en fonction du but recherché. Chaque approche répond à un but et chaque but a sa légitimité. Ainsi, si nous cherchons à aider les personnes à faible revenu à économiser, le simple achat alimentaire à moindre coût est tout désigné. Mais si nous voulons dépasser cet état des choses et soutenir les personnes dans une démarche collective leur permettant de reprendre confiance dans leur capacité à changer leur situation et du pouvoir pour le réaliser, d’autres formules sont alors plus appropriées, comme les cuisines collectives, les groupes coopératifs d’achats, les jardins collectifs et d’autres groupes de citoyens permettant ce processus de reprise de pouvoir collectif.

La troisième approche consiste à s’attaquer au problème à sa source, c’est-à-dire à l’augmentation du revenu des plus pauvres d’entre nous afin qu’ils puissent se nourrir sainement et nourrir leur famille, comme le stipule le principe du droit à l’alimentation adopté à l’ONU et cosigné par nos gouvernements. Comme les chiffres de la sécurité du revenu, de l’assurance emploi et du salaire minimum le démontrent et comme le souligne le rapport sur le Canada du responsable à l’ONU du droit à l’alimentation, Olivier De Schutter, nous sommes très loin de l’application de ce droit fondamental. Il s’agit pourtant là d’un engagement fondamental que nos gouvernements se doivent de respecter et qu’il nous faut leur rappeler si nous voulons enfin, comme société, nous inscrire en mode solution réelle.

Autre objectif alimentaire national atteignable à moyen terme, la mise en place de cantines scolaires dans toutes les écoles du Québec serait une façon démontrée de mieux nourrir nos écoliers et d’améliorer leur apprentissage académique, pour peu qu’on veuille élargir l’actuelle Mesure alimentaire en milieu scolaire implantée depuis 1991 dans les seules écoles en milieux défavorisés de Montréal. Offrant des repas sains à des prix différenciés selon le revenu familial, ces cantines nous feraient tout simplement rattraper la majorité des pays occidentaux qui offre un tel service aux écoliers.

Objectif à plus long terme de solidarité alimentaire sociétale, la souveraineté alimentaire s’attaque au problème de la faim et de la malnutrition là où se fixent les prix, soit dans la concurrence féroce que se livrent les pays producteurs agricoles au niveau international et les requins mondiaux de la spéculation. Actuellement, la production d’aliments est considérée par l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) comme une production comme une autre et, à ce titre, elle est soumise aux lois du marché sur lesquelles l’OMC a complète juridiction. C’est ce qui l’amène à combattre toute règlementation nationale qui vise à protéger ses producteurs agricoles et ses citoyens consommateurs.

La TCFDSMM considère au contraire que les aliments, avant d’être un bien commercial, sont d’abord un besoin essentiel et qu’ils devraient être considérés et traités comme tels. Elle vise donc, avec d’autres mouvements régionaux, nationaux et internationaux, à rapatrier le pouvoir politique de nos pays en matière d’alimentation, pouvoir bradé par les traités de libre-échange, et à soustraire à la juridiction de l’OMC toute production agricole nationale à des fins de consommation domestique. Ce changement majeur permettrait aux différents pays signataires d’un tel protocole international de légiférer et de protéger leur production agricole sans risquer de se faire poursuivre juridiquement par l’OMC. En la matière, la TCFDSMM considère que ce rapatriement de notre pouvoir politique nous permettrait d’étendre notre gestion de la production et de la distribution alimentaire à quelque 40 produits du panier alimentaire de base, comme les légumes racines, les produits maraichers et certaines viandes comme le porc et le bœuf de production et de consommation locale. Ce serait un pas important pour se soustraire aux aléas des crises alimentaires internationales, du moins pour ces produits, et pour garantir à tous un accès à prix abordable à une saine alimentation.

Un parcours de conscientisation et de reprise de pouvoir

Ainsi, la solidarité individuelle se traduit par le don alimentaire, qui est l’approche de la compassion et l’expression spontanée et traditionnelle d’une saine sensibilité à la misère et d’une indignation légitime face à l’inacceptable. Cette approche de sécurité alimentaire est le symptôme d’une société qui se veut généreuse envers les « plus démunis », mais dont la conscience sociale est limitée à concevoir la pauvreté comme une malchance touchant essentiellement des individus, même en grand nombre. Cette approche ne fait pas appel à leur potentiel ni à leurs capacités de se prendre en main. C’est essentiellement la main qui donne qui est toujours au-dessus de celle qui reçoit.

Sa raison d’être est pourtant d’assurer à tout individu un minimum pour passer à travers une étape difficile de sa vie et, dans un organisme qui veut faire emprunter à ses usagers le parcours de conscientisation évoqué plus haut, sa raison d’être est que ventre affamé n’a pas d’oreilles et qu’il est nécessaire de limiter l’insécurité alimentaire des gens, si on veut les amener à réfléchir ensemble aux autres solutions à construire ensemble. Cette approche exige des organismes et de leurs intervenants de bien comprendre la nécessité d’adapter leur approche pour préserver la dignité de leurs bénéficiaires et de faire plus si l’on veut s’attaquer aux problèmes de la pauvreté, de la faim et de la malnutrition.

La solidarité collective locale se traduit par une approche de coopération alimentaire. En termes de conscience sociale, elle se situe à un niveau supérieur de la solidarité alimentaire, car elle fait appel aux capacités des gens à se prendre en main. Basée sur une valeur d’entraide, elle est le fait de citoyens qui, se sentant interpellés par leur appauvrissement et celle de leurs concitoyens, compte sur leur résilience pour construire ensemble une solution locale et immédiate leur permettant de reprendre du pouvoir sur leur alimentation et sur leur vie. Confiante dans leur force collective à construire une vie meilleure pour les plus pauvres d’entre nous, mais aussi pour les gens désirant gérer collectivement leur alimentation, les groupes carburant à la coopération alimentaire mettent sur pied des dynamiques reposant sur l’apport de chacun des participants. Chez eux, pas question de bénéficiaires. On est entre membres d’une même solution à construire ensemble. C’est l’approche de la coopération qui a pour maxime « Tout seul, ça va plus vite, mais ensemble, on va plus loin ».

Sa raison d’être est :

  • d’améliorer l’alimentation des participantEs;
  • de briser leur isolement en recréant ensemble un tissu social d’entraide;
  • de leur faire retrouver leur dignité citoyenne parfois amochée;
  • de leur faire expérimenter leur pouvoir collectif de changer leurs conditions de vie et une démocratie directe respectueuse des uns et des autres.

Elle exige cependant du groupe porteur et de ses employés :

  • d’élever d’un cran leur conscience sociale en y intégrant la valeur de solidarité sociale;
  • de promouvoir la confiance des participant(e)s dans leur potentiel à transformer ensemble leur situation, plutôt que d’aborder les gens sur la base de leurs seuls problèmes;
  • de se voir comme des transformateurs sociaux;
  • de se doter d’une formation continue pour évaluer la portée de leurs interventions afin de les améliorer, au besoin.

La solidarité alimentaire sociétale se traduit, entre autres, par la souveraineté alimentaire, mais également par d’autres objectifs de société. Elle est l’expression d’une conscience citoyenne. Les gens et groupes qui y adhèrent et y travaillent comprennent que la faim et la pauvreté sont des problèmes structurels de société et d’organisation du système alimentaire mondial. Ils comprennent également que la solution à y apporter ne peut faire l’économie de la participation citoyenne à l’élaboration de cette solution et à l’interpellation de nos élus pour qu’ils mettent en œuvre cette solution collective.

La solidarité sociétale, ce sont plusieurs mains collaborant pour construire une société qui ne laisse personne de côté et qui favorise l’épanouissement de chacun et la contribution de tous au bien être bien-être collectif. C’est l’approche de la justice sociale, du développement de la citoyenneté active et du pouvoir collectif.

Sa raison d’être est étroitement inscrite dans le vivre ensemble en société et la conscience que la reprise de pouvoir de chacun sur sa vie est étroitement liée à notre reprise de pouvoir comme collectivité sur notre environnement social et économique et sur le système politique qui l’organise et le dirige.

Elle exige des participants, du groupe porteur et de ses employés :

  • d’élever leur conscience sociale au niveau du système politique d’une société;
  • de vouloir transformer cette société dans le sens du bien commun;
  • de se percevoir comme des agents actifs de cette transformation et de collaborer, pour ce faire, avec d’autres acteurs sociaux pour y arriver;
  • de se donner et de partager des objectifs à court, moyen et long terme pour intéresser et, peu à peu, sur la base de la prise de conscience de notre pouvoir collectif à changer les choses expérimentées au niveau local, de mobiliser les citoyens autour de ces enjeux de société.

Plan d’action contre la faim 2023-2024

Découvrez nos buts, objectifs et solutions envisagées.

Inflation alimentaire, nouveaux visages de la pauvreté et de la faim, et pérennité des groupes sociaux ne sont que quelques-uns des problèmes observées par les membres de la Table.