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L’urgence d’agir : l’alimentation et le citoyen

Avant-propos

La personne qui n’est pas à table voit tout de suite qu’il y manque une place, la sienne. Elle voit également que si les gens déjà assis acceptent de lui en faire une, ils devront bien redistribuer autrement la soupe et tout le reste. C’est ainsi que la personne qui a faim remet en cause notre regard sur la société, ses privilèges et ses scléroses. Elle démystifie aussi les intérêts du marché et sa façon de programmer notre avenir. Mais attention! Lazare ne se contentera plus de miettes qui tombent de la table. Il entend désormais être à table avec les autres, car il se sait citoyen! Il faut remercier Marie-Claude Morin de nous le rappeler avec beaucoup d’intelligence et de ferveur. Et j’espère que son espérance de voir changer les choses sera contagieuse.

Gay Paiement, Président de la Table de concertation sur la faim et le développement social du Montréal métropolitain

En guise d’introduction

J’avais environ 20 ans lorsque j’ai pris contact avec les plaisirs de l’alimentation : c’était au milieu des années 70, dans la foulée d’une nouvelle mode au Québec, celle du végétarisme et des jeunes qui quittaient la ville en espérant une vie plus simple à la campagne, plus connectée sur la Vie. De tout nouveaux produits alimentaires commençaient à être disponibles un peu partout au Québec, dans des coopératives régionales d’alimentation ou des groupes d’achats qui se réunissaient dans les maisons des membres. Des produits de culture biologique, qu’on qualifiait de «naturels», de simples produits à l’état brut ou presque, comme le blé rond, le sarrasin entier, des flocons d’avoine, du sel de mer, des algues et d’autres produits issus d’autres cultures et de coutumes anciennes (miso, shoyu, tofu, choucroute, etc.) remplissaient nos armoires et inspiraient nos expériences culinaires. Des produits dont ma génération ne pouvait, jusqu’alors, soupçonner même l’existence et qui pourtant avait fait longtemps les beaux jours des anciens d’ici et d’ailleurs dans le monde. Tant de découvertes heureuses!

Je faisais alors mon cours en agronomie et c’est à cette époque que j’ai acheté le premier livre de Mme Danièle Starenkyj1. Passionnée entre toutes et fervente, d’une simplicité et d’une fraîcheur que je trouve toujours aussi désarmantes, ses multiples écrits sur la santé, l’alimentation, l’équilibre et notre rapport à la vie ont accompagné, depuis, mon quotidien : j’en relis parfois quelques lignes et la joie m’envahit encore.

Cet hiver, dans le cadre de mon travail à La Table de concertation sur la faim et le développement social du Montréal métropolitain, j’ai eu à donner quelques courtes formations sur l’agriculture et l’agroalimentaire à des gens passionnés par l’alimentation et/ou concernés par le constat de la perte progressive de sécurité alimentaire d’une part de plus en plus grande de la population, et cela sur tous les continents.

Aujourd’hui, dans le présent document, je tenterai de vous livrer l’essentiel de ces formations, en y amalgamant des informations issues de diverses sources (essentiellement des lectures, des gens rencontrés et mes expériences de travail principalement avec des agriculteurs), fusionnées à mes convictions, vos pistes de travail ainsi que quelques réflexions sur le tout.

Je me suis rendue compte, tout en écrivant, qu’il n’y a pas de raccourcis possibles, de « short cut », comme on dit en anglais, quand il s’agit de tenter de travailler la conscience de ce qui construit nos vies humaines. Je suis convaincue que la sécurité alimentaire et la santé constituent deux exigences fondamentales pour l’être humain, deux « sécurités indispensables »2, et qu’il faut prendre le temps d’y réfléchir.

Il vous est donc offert à lire six chapitres et, je vous le dis tout de suite, ils sont traversés par quelques préoccupations et convictions : celle d’assurer une cruciale connaissance3 et (sur)vivance de l’agriculture; celle de l’importance de retirer notre consentement à ce système qui rétrécit l’humain; celle de rendre concrets et palpables les liens essentiels entre l’agriculture et les citoyens, les citoyennes; celle de ne pas laisser s’égarer ce goût profond de continuer la vie.

Tout au long du chapitre I, S’alimenter, il m’est apparu vital de retourner à là d’où nous provenons : les origines historiques des formes qu’ont prises le manger et le boire pour les omnivores que nous sommes. Au chapitre II, Portrait de l’alimentation d’hier à aujourd’hui, il s’est agi pour moi de montrer les mouvements qu’a subis l’alimentation en rapport étroit avec les changements vécus dans la société occidentale. Le chapitre III, L’agriculture et l’industrie agroalimentaire, montre et interroge les fils historiques sous-jacents aux orientations des gouvernements et des organismes agricoles en matière d’agriculture. Au chapitre IV, Le contexte mondial, j’aborde ce que d’aucuns appellent la «mondialisation du commerce» ainsi que les interactions incontournables entre ce qu’il est convenu d’appeler «le local et le global».

À mon avis, les quatre premiers chapitres servent de toile de fond et de tremplin pour s’essayer à réfléchir, au chapitre V, sur les fondements d’une politique de sécurité alimentaire pragmatique et communautaire. Quand au chapitre VI, Pistes et perspectives – De l’homo economicus à l’homo esperans, il met «pratiquement» le cap sur l’espoir, à contre-courant d’un monde qui nous est présenté comme une mappemonde désenchantée, encombrée d’injustices, où on parle de vérité et de réalisme économiques à sens unique et si peu des solidarités multiples qui se créent au quotidien, notamment au sein de l’expérience alimentaire.

Voilà, en somme, ce que j’ai à vous offrir. Je fais le souhait que les quelques références que je vous indique dans le texte vous donneront un goût «irrésistible» d’aller plus loin, de lire davantage, d’ouvrir sur d’autres disciplines. Puisque dans le fond, je l’ai encore une fois constaté en travaillant avec vous, tous autant que nous sommes, peu importe la fonction sociale que l’on occupe comme citoyen (travailleuse sociale, agronome, diététiste, secrétaire, prêtre, producteur agricole, cuisinier, etc.), ce sont les plaisirs et méandres de la «vie terrienne» au quotidien qui nous interpellent et nous questionnent le plus profondément.

Je vous quitte en vous souhaitant une bonne lecture.

Je vous remercie,

Marie-Claude Morin, Saint-Jude, le 30 juillet 1999.

Chapitre I

S’alimenter

En examinant le rapport de l’homme à ses aliments, nous n’avons cessé de rencontrer des notions d’ordre et d’organisation, de cohérence, de régulation. Les raisons sont probablement biologiques, cognitives, sociales. Nous en avons privilégié notamment deux, qui imposent à l’homme de s’installer, pour manger, à l’intérieur d’une logique culinaire : le paradoxe lié à la condition d’omnivores et le principe d’incorporation, ce biais apparemment universel de la pensée humaine selon lequel ce que nous mangeons modifie et détermine notre être. Si l’alimentation humaine a besoin d’être structurée, elle est en même temps fondamentalement structurante : individuellement, parce qu’elle socialise et acculture l’enfant; collectivement, par qu’elle symbolise et traduit dans ses règles le triomphe de la culture contre la nature, de l’ordre social contre la sauvagerie, [… elle] concrétise les hiérarchies sociales […]

Claude Fischler

L’Histoire nous a montré que, de par une quête incessante de nourriture et la difficile gérance des pénuries sporadiques, la vie des êtres humains a toujours été marquée par une inquiétude permanente reliée à leur condition de mangeur. Claude Fischler, sociologue et auteur français a dit que de source de danger potentiel4 qu’a toujours été la nourriture brute, et malgré qu’aujourd’hui dans nos pays dits développés ce «danger» peut nous sembler réduit à sa plus simple expression, la préoccupation alimentaire est restée naturellement source d’anxiété, de crainte et d’insécurité.

En effet, bien que les Occidentaux ne vivent plus de grandes famines depuis plus de 150 ans, que la nourriture qui nous est présentée puisse nous sembler familière et sans danger, et que la longue recherche quotidienne de notre nourriture soit devenue moins préoccupante, les discours et la mobilisation d’une quantité importante d’énergie et de gens autour de la question alimentaire, ici et ailleurs dans le monde, sont une preuve évidente que l’anxiété est toujours présente, la question toujours d’actualité, la crainte ancestrale toujours vivante.5

Cependant, les visages qu’empruntent ces émotions varient d’un pays à l’autre et, dans un même pays, entre les plus riches et les plus pauvres. Même chez les mieux nantis des pays les plus riches, demeure et demeurera toujours un certain type d’insécurité reliée à l’alimentation. Pour ceux et celles qui en doutent, pensez un instant à nos réfrigérateurs et armoires immanquablement remplis de victuailles.

Rappelons-nous aussi que nous avons été témoins, tout récemment, durant le verglas qui a affecté la région de Montréal en janvier 1998, de la crainte maladive de braves pères de familles, qui dévalisaient des étagères complètes de pain par crainte d’en manquer, comme si le verglas avait aussi figé toutes les réserves des armoires de leur maison et comme si ne plus avoir absolument tout ressemblait à ne plus avoir rien du tout. Si ce n’est pas là une forme d’anxiété, qu’est-ce donc alors que l’anxiété et que s’est-il passé chez ces gens-là ?

Joseph Klatzmann parle de six catégories de malnutrition6 au sein de la population mondiale, qu’il distingue comme suit :

  • la première catégorie regroupe les pays dont la santé est mise en danger par une alimentation excessive, ce qui est le cas d’une bonne partie du monde occidental;
  • la deuxième rassemble les populations dont l’alimentation est jugée satisfaisante puisqu’elle fait plus que couvrir les simples besoins physiologiques;
  • la troisième correspond à des situations de malnutrition : l’alimentation est apparemment suffisante, mais elle est mal équilibrée;
  • la quatrième est celle de la sous-nutrition;
  • la cinquième est celle des régions où règne la faim;
  • la sixième est la famine, situation dans laquelle on meurt réellement de faim.

Quant à nous, dans le présent chapitre, nous aborderons la question en classifiant, très grossièrement, la faim et la malnutrition sur notre planète en deux blocs : la faim et la malnutrition qui concernent l’ensemble de la population du globe, sans distinction particulière, et celles qui se vivent dans le monde occidental.

La nourriture que tant de bouches appellent

Il est couramment admis aujourd’hui qu’à l’échelle de la planète, les problèmes reliés à la faim et à la malnutrition s’accroissent, inexorablement. On estime qu’il y a environ 800 millions d’êtres humains7 qui, d’une manière chronique, souffrent de la faim ou vivent des problèmes de malnutrition.

En 1960, au cœur même de la période des grandes décolonisations africaines, alors que le colonialisme était accusé d’avoir créé et maintenu distorsions et disparités sociales et économiques entre pays du Sud et pays du Nord, on estimait à cinq le nombre de pays dont la population totale était de 100 millions d’habitants et qui ne disposait pas d’une ration alimentaire quotidienne suffisante. En 1985, alors que les vertus de la croissance économique sont de plus en plus encensées, plus de 35 pays, dont la population totale atteint 2 MM d’habitants, sont dans cette situation8. Nous n’avons plus affaire à de simples et ponctuelles famines ou disettes. Le visage de la faim, bien sûr, a toujours accompagné les humains, mais aujourd’hui nous faisons face à ce que de plus en plus d’auteurs s’entendent pour nommer un problème endémique9.

Dans les pays les plus pauvres du monde, où se retrouvent la très grande majorité des plus mal nourris, les causes de cet état ont été et sont encore largement étudiées. Après quelques lectures et réflexions sur la question, je peux dire que la démographie galopante ou l’incapacité matérielle de produire une quantité suffisante de nourriture ne peuvent à  elles seules expliquer la malnutrition de tant de millions d’êtres humains. Les effets de la compétition déloyale que créent, dans les pays les plus pauvres, les productions agricoles dites de rentes (qui sont réservées à l’exportation : sucre, café, cacao, coton, thé, etc.) sur les productions vivrières (réservées à la consommation des communautés locales) font aussi partie des causes de la malnutrition mondiale. Se rajoute, bien sûr, la concurrence éhontée livrée aux produits locaux des pays plus pauvres du Sud par les produits issus du commerce international, donc produits à plus faibles coûts par les pays du Nord. Rajoutons à ces causes la présence de conflits armés ou de guerres, une distribution de nourriture incontestablement déficiente et nous avons devant nous un problème d’une très grande envergure. On dira que tout cela est bien vrai, mais ce n’est pas suffisant pour expliquer les phénomènes actuels.

«Quant aux difficultés alimentaires, elles nous apparaissent maintenant sous un autre jour, comme le fruit d’une triple exclusion dont sont victimes ceux qui les subissent : exclusion des terres sous le prétexte d’en accroître la productivité, du marché par la concurrence des vivres importés, du travail enfin. Ce n’est plus de la faim toute seule [dont] il faut désormais parler, mais d’un syndrome qui comprend le chômage, la misère, la malnutrition, l’exode rural, l’inflation démographique, la formation des bidonvilles. Et on ne peut résoudre le problème de la faim en s’attaquant à la seule agriculture : ce faisant, on ne soigne qu’un symptôme, tandis que c’est à l’ensemble des causes du problème qu’il faut s’attaquer».10

Que les choses soient claires : dès aujourd’hui, la terre pourrait nourrir convenablement tous les êtres humains qu’elle accueille. Plusieurs chercheurs, analystes, agronomes ou biologistes l’affirment. À preuve, à l’échelle de la planète, la disponibilité alimentaire quotidienne est maintenant de 2 500 calories par jour par habitant11, suffisante pour fournir à chaque terrien une quantité d’aliments répondant à ses besoins minimaux. Mais de toute évidence, tous n’ont pas accès à la nourriture disponible et ne pourront pas non plus, dans un proche avenir, y avoir accès ou se la procurer. Lors du dernier Sommet de la FAO, à Rome, les organismes présents se sont engagés à réduire le nombre d’affamés dans le monde à 400 M d’ici dix ans. Semble-t-il que Fidel Castro, chef d’état cubain, a été pratiquement le seul à s’être indigné de cette annonce fracassante. Comment peut-il être encore possible d’admettre et de tolérer qu’il y aura autant d’affamés et d’exclus?

Par contre, s’il est clair que la terre peut nourrir toute sa population, même bien davan-tage (on parle d’un seuil possible de 10 à 12 milliards d’habitants, certains disent mê-me plus),  elle ne pourra guère soutenir le rythme de vie de plus que 700 millions d’in-dividus, gaspilleurs de ressources comme les Nord-Américains que nous sommes.12

Depuis quelques décennies, certains pays industrialisés (USA, Canada, Union économique européenne, etc.) prétendent à la mission de nourrir le monde13 et affirment en être capables. C’est pourtant une aberration tant sur les plans social, économique, environnemental qu’éthique, pour au moins trois raisons fondamentales.

Premièrement, il s’agit d’une question de principe. De plus en plus de gens croient en l’urgence que soit remis entre les mains de chaque peuple le droit de se nourrir lui-même. Le droit à la nourriture n’équivaut pas à être alimenté par autrui, mais il correspond à celui de pouvoir s’organiser pour le faire soi-même. C’est vrai pour les individus et vrai aussi pour les collectivités.

Car il ne s’agit pas uniquement d’affirmer le droit pour tous à l’alimentation et au travail, au territoire et à la paix. Il faut admettre que la recherche des moyens concrets d’assurer le droit des peuples à se nourrir eux-mêmes est le seul fondement possible d’un ordre alimentaire mondial qui prenne en compte le territoire autant que le marché et donne la priorité à la construction d’ensembles régionaux.14

Deuxièmement, il faut dire que le modèle néo-libéral de production et de distribution alimentaires qu’ont choisi et que défendent les pays producteurs et exportateurs est un accélérateur de disparités. Non seulement, il consent à ce qu’un nombre si impressionnant d’exclus puisse encore être toléré, mais il contribue aussi à les maintenir dans cette situation, au bénéfice d’une portion de plus en plus mince de la population.

Choisir la croissance pour nous, c’est en faire subir les conséquences à l’ensemble des autres.15 Si les pays industrialisés cherchaient à connaître les racines de leur richesse, elles les trouveraient dans le Tiers Monde.16

Troisièmement, ce système consomme et dilapide une quantité effroyable d’énergie et laisse des traces écologiques désastreuses : ce que j’aborde brièvement dans les lignes qui suivent.

De la pénurie à l’abondance?

Si dans les pays les plus pauvres, on parle de problèmes reliés à une pénurie d’aliments (chronique ou ponctuelle, localisée ou généralisée), dans les pays les plus industrialisés et les plus riches, d’autres problèmes liés à l’alimentation continuent d’occuper de plus en plus de ressources, notamment humaines, et à apporter encore leur lot d’angoisses et d’insécurité.

a)  Une description

Dans le cadre de ce document qui s’adresse d’abord aux groupes communautaires de Montréal travaillant pour la sécurité alimentaire des gens appauvris, il peut sembler presqu’indécent de dire qu’ici, globalement, une grande partie des problèmes vécus ici et touchant à l’alimentation sont davantage reliés à la surabondance et au gaspillage. Je m’explique.

  • Je pense ici à la très importante question de la gestion des déchets. À titre d’exemple, en incluant les emballages des magasins, des restaurants et de l’industrie, chaque citoyen produit en moyenne une demi tonne d’ordures par année.17 Il y a aussi les quantités de plus en plus grande de déchets rejetés de la ferme à la table. Au Québec seulement, les déchets reliés à la bouffe occupent plus de 70 % de notre poubelle domestique.

Au fil de la chaîne alimentaire, il n’est pas rare qu’un pourcentage élevé de fruits ou de légumes soient déclassés (on parle de 10 à 20 %, et parfois plus dans certains cas), simplement à cause de leur aspect, pour des critères esthétiques ou d’uniformité.18 Toute la question de ces déchets est un symptôme d’une certaine abondance mal gérée (mais jamais ou presque on est porté à remettre en question le «fait et la forme de cette abondance»).

  • Quand on parle de surabondance, on doit parler en conséquence d’une surproduction et, donc, d’une pression supplémentaire exercée sur les sols et les cours d’eau : on fait face, de plus en plus, à différents problèmes de pollution touchant les sols, les eaux des rivières et souterraines, ainsi qu’à divers autres problèmes environnementaux découlant d’une production intensive19de produits alimentaires, tant au niveau de la ferme que de la transformation des aliments.
  • N’oublions pas non plus les conséquences environnementales de l’utilisation massive des carburants et des énergies pour produire, transformer, transporter aux quatre coins du pays ou de la planète tous ces produits alimentaires qu’il faut bien écouler. Il est bon de se rappeler, par exemple,
    • que pour fabriquer un dîner surgelé à faible teneur en calories, il faut une quinzaine d’étapes de transformation et d’emballage. Il faut dépenser une valeur énergétique environ 40 fois supérieure à la stricte valeur alimentaire de la portion;20
    • que le tiers des camions qui sillonnent les autoroutes québécoises transportent des aliments;21
    • que la production de viande requiert de 10 à 20 fois plus d’énergie que la production de céréales; et pourtant on mange encore beaucoup de viande;22
    • qu’un âcre de céréales et de légumineuses, qui serait destiné à l’alimentation humaine, pourrait produire respectivement 5 et 10 fois plus de protéines qu’un âcre réservé à l’alimentation animale, donc à l’élevage;23
    • que pour aller une ou deux fois par semaine chercher de cinq à dix kilos d’aliments, avec dix à vingt kilomètres de trajet aller-retour, on dépense encore plus de carburant que tout le processus de production et de transformation de cette même quantité d’aliments.24

Il y a l’abondance de publicité incessante pour nous convaincre d’acheter plus que ce que l’on peut manger.

Il y a aussi, évidemment, de nombreux problèmes de santé qui sont reliés à l’abondance et à l’excès de nourriture : obésité, maladies cardiaques et cardio-vasculaires, etc. Dans les pays industrialisés, chaque année, plus de 2,5 millions de personnes meurent de maladies liées à l’obésité.25

b) La bonne volonté et le travail sont insuffisants

Même si je dis que l’abondance fait partie de notre décor quotidien et que, bien sûr, la faim au sens strict est plutôt rare dans nos sociétés occidentales, la malnutrition et l’angoisse relative à l’insécurité alimentaire, chez-nous au Québec, demeurent bien réelles et sont même nettement en progression.

L’Ordre professionnel des diététistes-nutritionnistes du Québec estime que la détérioration des conditions alimentaires s’est accrue de 15 % en 15 ans seulement.26 Au Canada27, en 1998, on estimait à 3 millions le nombre de personnes n’ayant pas accès à une alimentation suffisante. Ces derniers sont rejoints par les 508 banques faisant partie de l’Association des banques alimentaires du Canada. De plus en plus nombreux sont également les organismes qui offrent, gratuitement ou à un coût minime, des repas à une population démunie ou appauvrie.

Seulement à Montréal, un nombre impressionnant et toujours grandissant de personnes, de ressources et d’organismes se dévouent à la cause de la sécurité alimentaire des familles appauvries. Quelques 80 organismes font partie de La Table de Concertation sur la faim et le développement social du Montréal métropolitain et travaillent, d’une manière ou d’une autre, autour de l’alimentation de clientèles fragilisées et à la reconquête de leur dignité humaine : jeunes à l’école des quartiers plus défavorisés, futures mères, sidéens, gens de faibles revenus. À elle seule, Moisson Montréal redistribue quotidiennement à quelques 200 groupes ou organismes accrédités de la région montréalaise plus de 58 tonnes par jour, de nourriture retirée du marché et/ou donnée par l’industrie agroalimentaire.28 Les onze Moisson du Québec, en 1998, ont fourni de la nourriture à plus de 215 000 personnes.29 Ce qui, selon l’avis de ses dirigeants, ne représenterait que 50 % des besoins.

On dit qu’à Paris seulement, en 1995, plus de 50,000 repas par jour ont été offerts aux populations démunies.30 Il existe le même phénomène un peu partout dans le monde occidental31 où certaines expériences (autour de la question alimentaire) ont été particulièrement médiatisées.

Certains producteurs et certaines productrices agricoles, ceux et celles qui demeurent à la base de toute la nourriture produite sur la planète, tentent aussi de participer à l’effort. Il reste qu’en attendant que ces expériences de partenariat producteurs agricoles-citoyens soient mieux connues ou plus courantes, elles sont actuellement trop marginales pour changer le cours des choses, bien qu’elles suscitent l’intérêt de plusieurs pour une nouvelle piste d’avenir. Ainsi, des producteurs agricoles du Manitoba, cet hiver, ont décidé d’offrir la viande de porcs à moins cher aux familles démunies. Devant l’abondance exceptionnelle de leurs récoltes de céréales, en 1998, plusieurs centaines de producteurs de céréales du Québec ont accepté généreusement d’en partager une partie avec les citoyens du Sud, touchés par l’ouragan Mitch.

Plusieurs autres, ici, autour de Montréal, ont déjà accepté d’offrir gratuitement de la nourriture ou trouvent important de participer aux efforts des organismes s’occupant de sécurité alimentaire : entre autres, quelques-uns participent avec gaieté de cœur au maillage producteurs agricoles-groupes communautaires.32 La multiplication de ces gestes de soutien et de collaboration serait certes à encourager : c’est d’ailleurs l’une des pistes que nous étudierons au chapitre VI.

Selon vous, si encore plus d’organismes s’occupaient de faciliter ainsi l’accès à toute la nourriture disponible, pourrions-nous alors parler d’une meilleure sécurité alimentaire pour tous? Croyez-vous que pourraient être enfin mis au chômage tous les organismes se chargeant aujourd’hui d’aide alimentaire, comme tel devrait être, au bout du compte, leur objectif ultime ? Moi, je ne le crois pas, je vous le dis tout de suite.

Courte conclusion

«La faim est désormais au cœur même de la surabondance. […] L’apparition de ces populations «exclues» ou «marginales» mal alimentées ne tient évidemment pas à une quelconque baisse de la production agricole et alimentaire des pays concernés.  Elle correspond à la disqualification sociale de franges de plus en plus importantes de la population, du fait de l’augmentation du chômage et de la disparition des solidarités locales et familiales.»33

Il y a là un paradoxe nouveau, dans nos pays dits développés, qui s’accentue à vue d’œil et qui nous interroge radicalement sur nos modes de pensée et d’action, ainsi que sur notre style de vie nord-américain. Nous tenterons d’y voir un peu plus clair au Chapitre V.

La vraie insécurité alimentaire demeure au cœur de nos vies quotidiennes et nous continuons à en être habités. On l’a bien vu, pour que chacun puisse se nourrir convenablement, sont disponibles un peu partout et dans plusieurs milieux la bonne volonté, le cœur et le travail d’une quantité impressionnante d’individus ou de groupes. Comment se fait-il alors que tout cela ne soit pas encore suffisant pour calmer l’insécurité et que les demandes d’aide continuent toujours d’affluer, comme les cellules d’un cancer mal diagnostiqué et mal traité ?

Non ! L’abondance et la meilleure des disponibilités en aliments n’arriveront pas à tuer l’anxiété des humains d’aujourd’hui devant le fait de se nourrir. Ses racines ne se situeraient-elles pas au niveau de cette quasi absence de connaissances réelles de notre nourriture, dans le fait qu’elle soit devenue pour nous de plus en plus étrangère et, conséquemment, qu’elle nous apparaît comme de plus en plus hors du contrôle et du pouvoir que, depuis le début de l’humanité, l’être humain a toujours ressenti comme une nécessité d’avoir sur elle?

Chapitre II

Portrait de l’alimentation d’hier à aujourd’hui

Lorsque tu ne sais pas où tu vas,

 il faut savoir te rappeler d’où tu viens.

Proverbe africain

Une grande part des anciens rites d’apprivoisement de la nourriture, tels la cueillette et le long travail culinaire que devaient faire nos ancêtres, les plus que nécessaires éducation culinaire de l’époque et transmission des connaissances, les rites entourant la prise des repas, tout cela n’existe à peu près plus dans nos sociétés occidentales. Il semble que nous ayons perdu contact avec l’action de s’alimenter et son sens profond.  En tant que société, il semble aussi que nous ayons graduellement égaré une grande part de ce que nous avions acquis au fil des siècles comme pouvoir sur elle, pouvoir dans le sens de capacité. Le présent chapitre vise à expliquer ce que j’entends par cette affirmation.

C’est en regardant à quoi ressemblait l’action de s’alimenter et ce dans quoi elle s’inscrivait, au fil des époques, que nous observerons ce qu’il nous reste de l’héritage du passé et que nous serons en mesure d’identifier ce qui fait partie d’un nouveau phénomène. C’est ainsi qu’il sera peut-être possible de déduire certains éléments qui permettront de mieux cerner les obstacles qui brouillent la vue, de mieux savoir où l’on veut aller et, peut-être, de s’y rendre.

Avant-hier

Il y a de cela pas si longtemps, les êtres humains étaient des nomades, cherchant à chaque jour la nourriture nécessaire à la survie. Cueillette et chasse étaient leurs activités de base : étaient au menu, viande, racines, graines et céréales, fruits et légumes sauvages, à l’état brut ou très peu transformés par la cuisson ou le séchage.

Bien connaître son environnement naturel et ce qu’on pouvait ou non en retirer et manger étaient primordial. Des anthropologues disent que la crainte et l’anxiété reliées au fait de s’alimenter faisait partie de tous les jours. Les marges d’erreur étant très faibles et de graves maladies ou la mort en étant l’issue, les règles entourant la cueillette et la préparation des aliments devaient être très bien définies, très strictes et parfaitement transmises d’une génération à l’autre. Les modifications à ces rythmes et rites de la vie ne pouvaient se faire que sur plusieurs générations.

Quand les humains eurent appris à transformer et à adapter leur milieu naturel pour la production de la nourriture qui leur était nécessaire, quand ils eurent appris à sélectionner les meilleures graines des meilleures plantes pour pouvoir les semer eux-mêmes, l’agriculture était née. Elle permit la sédentarité34 qui devait, en principe, faciliter la vie quotidienne, en réduisant notamment l’inquiétude de la quête incessante de nourriture. Elle sous-entendait aussi la mise en scène d’une toute nouvelle notion : celle de la propriété privée. C’était, au Proche-Orient, il y a environ 10 000 à 12 000 ans.

Peu à peu, par la sédentarisation, les peuples en vinrent à se spécialiser davantage dans la production de certains biens, ce qui entraîna les débuts du commerce entre peuples. On a tous entendu parler d’histoires concernant les anciens commerces du monde occidental avec l’Orient, notamment ceux du thé et des épices. Certains climats, certaines localisations et certaines habilités humaines acquises au fil des siècles permettaient de plus en plus de spécialisation, donc l’apparition de ce qu’on nommerait aujourd’hui la notion d’avantages comparatifs. Certains groupes humains en vinrent à ne plus produire tout pour combler leurs besoins et à commercer, avec d’autres régions et peuples, leurs surplus de production et leurs particularités locales.

De toute évidence, les disettes, les grandes pénuries et les famines généralisées par l’absence de récolte ou par les ravages faits par la nature furent fréquemment, mais ponctuellement, de la partie et firent l’objet de craintes persistantes et répétées de la part de tous les êtres humains.  Certaines d’entre elles, pas si lointaines, en ont fait mourir des centaines de milliers. Toute la population, sans distinction de classe ou de richesses, était gravement touchée et concernée par cet état permanent d’insécurité alimentaire, même si on peut penser que les gens des classes les plus aisées réussissaient à en circonscrire certaines des conséquences les plus graves. Cependant, dans l’ensemble, il est reconnu par plusieurs auteurs que les systèmes agraires d’antan s’organisaient pour fournir le nécessaire à leur population, sauf exceptions dues à la guerre ou à un accident climatique grave. Par exemple, la généralisation des disettes en Afrique est un phénomène récent, résultant notamment de la dislocation des réseaux traditionnels de production et de commercialisation.35

Hier encore

Sautons quelques millénaires. Demeurons en Occident et resituons-nous après la Seconde Guerre mondiale. Chaque famille devait encore très bien connaître les aliments et les techniques culinaires de base pour savoir bien les conserver, les apprêter et en tirer profit au maximum, car perdre de la nourriture, à cette époque, apparaissait comme inconcevable par principe, par souci d’économie et aussi parce que l’approvisionnement était difficile. La nourriture était un bien extrêmement précieux : on ne l’avait pas encore oublié. Le terroir local produisait toujours une très large part des produits alimentaires consommés, mais de plus en plus d’aliments étaient cependant transformés, plus ou moins localement, par des entreprises détenues encore en majorité par des intérêts et des propriétaires identifiables. Nombreuses encore étaient les familles à la campagne et à la ville à faire des jardins, des conserves pour l’hiver, de la cueillette, des plats longuement cuisinés, de faibles volumes d’achats hebdomadaires à l’épicerie.

On continuait à garder un contact avec la provenance de sa nourriture et son contenu, et à vouloir retransmettre d’une génération à l’autre une certaine culture alimentaire. En exemple, je me rappelle la famille voisine de la mienne, dans les années 50-60 qui, avec six bouches à nourrir, n’achetait à l’épicerie qu’une unique boîte par semaine, remplie de produits plus ou moins transformés. Mais les sacs de cent livres de farine et de sucre étaient au grenier et un mur complet de la cave était bondé de conserves de toutes sortes. Ma voisine passait plusieurs heures de sa journée à faire à manger et à enseigner à ses enfants les rudiments culinaires : la transmission du savoir culinaire faisait partie de l’héritage qu’on laissait à ses enfants.

Je me souviens aussi, en 1970, du père de mon ami Martin et de ses dix frères et sœurs, architecte de profession, qui quittait la ville de Québec le vendredi soir après son travail avec, sur son dos, une seule boîte d’épicerie remplie de la nourriture nécessaire à sa famille pour toute une semaine. Une seule boîte, pour 13 personnes, ce serait aujourd’hui impensable : et je peux vous dire qu’elles mangeaient toutes à leur faim. J’imagine cependant que la préparation des repas et des réserves pour l’hiver prenait la plus grande part des heures de travail de la mère, sûrement aidée par les enfants. C’était une sorte d’autosuffisance, d’autonomie, nécessaire à une certaine survie : on avait encore un contrôle sur l’alimentation, car il le fallait. La vie moderne et l’industrie agroalimentaire ne tentaient de pallier à tout et de s’arroger le droit de décider au nom des consommateurs.

L’heure des repas, chez-nous comme chez eux, était une heure remplie de sens et de rites : des prières, des heures pré-établies, des tâches réparties et la présence de tous requise. Le repas était un moment familial important : il y en avait trois par jour et il n’était pas question d’en sauter un. Ils se devaient d’être d’abord nourrissants, voire copieux. C’était le credo alimentaire de l’époque.

Évidemment, le nombre de produits alimentaires offerts sur les marchés était encore  restreint et on en connaissait très bien les usages : on n’était pas souvent mal pris et avec quelques produits de base, on pouvait aller loin! On pouvait se débrouiller avec peu. Chacun, ou presque, avait de la famille à la campagne : on savait bien encore – mais on se préparait à l’oublier – que la campagne et les producteurs agricoles sont nécessaires aux citoyens d’un pays.

On connaissait la provenance de la nourriture qu’on mangeait : elle était faite chez-soi ou par des fournisseurs de la région. À l’époque, le boulanger, le laitier, le boucher et, à certains endroits, les marchands de fruits et de légumes parcouraient encore les rues des villes et des villages. On commençait par contre à pouvoir se procurer de plus en plus facilement, quotidiennement même, des produits importés : c’était une grande innovation puisque qu’à peine quelques décennies auparavant, ce n’était qu’à Noël que nos parents et grands-parents recevaient, avec étonnement et joie, une simple orange. Les petits commerçants de denrées alimentaires étaient nombreux et les grandes chaînes que nous connaissons aujourd’hui s’apprêtaient à faire leur apparition. Plusieurs marchés publics sont toujours là, comme d’ailleurs encore aujourd’hui, dans la plupart des pays des continents d’Afrique, d’Amérique du Sud et d’Asie. Ils demeurent «l’interface essentielle entre celui qui produit et celui qui achète»36, la rencontre entre deux mondes qui commercent ensemble.

La spécialisation dans les métiers et l’industrialisation ont amené progressivement de plus en plus de travailleurs à s’éloigner de la production agricole.  Mais puisqu’il faut bien que tout le monde mange et que la technologie désormais le permet, se développera un système de plus en plus complexe de distribution des aliments : transports, techniques de conservation, emballages, etc. Et la publicité des grandes compagnies agroalimentaires commencera à encombrer les vies et les esprits, pour se disputer la fidélité et la dépendance des citoyens à l’égard de leurs produits.

En somme, l’anxiété reliée à la nourriture est toujours là, elle est circonscrite par des rites, des connaissances, des apprentissages nécessaires qui font encore partie de l’héritage collectif.

S’alimenter aujourd’hui

a) Comment mange-t-on?

L’alimentation quotidienne subit de plus en plus les contraintes du monde du  travail.  Coincés dans des horaires serrés, la fatigue aidant, on prépare et on prend nos repas à la sauvette, souvent sur place au travail ou à l’école, ou au restaurant (en moyenne 10 % des repas sont pris à l’extérieur de la maison).37 D’une manière générale, les repas quotidiens représentent de moins en moins un moment familial de qualité, ni dans leur préparation (très brève, peu élaborée, qui demande de moins en moins de collaboration), ni dans leur partage (devant la télé, pris rapidement, à des heures éparpillées, etc.). On les lie beaucoup à la santé, mais une santé qui se calcule en calories, en gras, en minéraux, en régimes de toutes sortes, etc.

Les habitudes alimentaires se transforment de plus en plus rapidement : le contenu du panier alimentaire et la part d’argent qu’on attribue à chaque catégorie de produits sont significatifs de notre mode de vie. À l’Annexe 6, vous verrez que la part du budget réservé à l’achat de viande est à la baisse, tandis que celles réservées aux graisses et huiles, aux préparations alimentaires, autres aliments et ingrédients, aux préparations à base de sucre et aux condiments et épices sont notoirement à la hausse.

Avec plus de 15 000 (on parle d’entre 12 000 et 20 000) produits alimentaires en épicerie, fournis par elle, l’industrie agroalimentaire s’est bien ajusté à ce nouveau mode de vie rapide (peut-être le provoque-t-elle) : de plus en plus de produits préparés, congelés, prêts-à-servir sont disponibles dans les supermarchés où désormais cette catégorie occupe un place prépondérante.

Les produits de base, non transformés, sont de moins en moins achetés. Qui penserait à s’acheter de la farine au lieu du pain : qui penserait être encore capable de faire son pain? Qui ferait son tofu à partir des fèves soya brutes? Avec les laitues offertes à l’épicerie, pré-lavées et ensachées, peut-être nos enfants finiront-ils par ne plus savoir à quoi ressemble une laitue fraîche du jardin? À force de se voir offrir à gros prix le gruau Quaker précuit, emballé en portion individuelle et déjà assaisonné, qui pourra se souvenir de son état original, de sa facilité de préparation, de son coût minime et de ses anciennes qualités nutritives?

De nos jours, le leitmotiv de toute l’industrie est incontestablement la standardisation des produits. On réduit la diversité, on va toujours vers plus d’homogénéité. On parle déjà de «mondialisation des goûts».38

b) Qui sait ce qu’il mange aujourd’hui?

Parallèlement au courant qui vise pourtant à tout uniformiser en alimentation comme dans tous les autres domaines, jamais n’ont été observés tant d’abondance, de choix de produits, ni autant de théories et de discours divergents ou convergents sur l’alimentation! Admettons que nous sommes désormais au cœur d’une grande cacophonie nutritionnelle39, qui ne semble pourtant en rien réduire nos anxiétés et nos préoccupations reliées à la nourriture. Bien au contraire.

Qui depuis l’arrivée du dernier printemps a vu un champ labouré, un champ de pommes de terre ou des vaches paître au champ? Qui a encore un oncle à la campagne chez qui il-elle peut passer les vacances et prendre connaissance de l’existence de l’agriculture vivante? Qui connaît la réalité agricole québécoise d’aujourd’hui et les problématiques qui lui sont reliées? Qui a encore le réflexe de s’interroger sur ce qu’il y a dans son assiette et en connaît les composantes, la réelle identité?

Sans aucun doute, pouvons-nous dire que nous savons bien peu de choses des aliments que nous achetons et de leur provenance. Claude Fischler40 les nomme même des OCNI : Objets Comestibles Non Identifiés (Annexe 1) en évoquant par ce nom toute l’inquiétude, qu’à notre insu, ils suscitent en chacun de nous. Nous savons bien sûr où nous avons été cherché nos aliments : au marché, à l’épicerie, au restaurant ou au dépanneur. Mais, savons-nous à qui appartiennent ces commerces et quelles sont les valeurs profondes de leurs propriétaires ou de la bannière à laquelle ils sont affiliés? Que savons-nous réellement de l’histoire de ce produit : dans quel pays a-t-il a été produit? Par qui et dans quelles conditions? Avec quelles normes de sécurité concernant l’utilisation de pesticides, de produits chimiques ou de nouveaux procédés issus de la technologie, dont le caractère inoffensif n’a peut-être pas encore été prouvé? Quelles étaient les normes de sécurité, environnementales ou sanitaires en place dans le pays producteur pour protéger les employés des entreprises agricoles ou manufacturières responsables de sa fabrication?

Nous n’avons à peu près pas de réponses à ces questions et pourtant je suis certaine que toutes ces informations seraient nécessaires si on veut vraiment savoir ce que l’on mange, parler d’un certain contrôle sur notre alimentation et sur notre santé et être en accord avec ses valeurs éthiques personnelles.  Je préfèrerais, quant à moi, savoir que ce que je mange n’a pas fait l’objet d’une exploitation éhontée de la part de propriétaires fonciers. Je préférerais penser que les doses de pesticides employées dans le pays d’origine correspondent aux normes utilisées au Canada et même à mieux encore. Je souhaiterais aussi ne pas manger sans le savoir des aliments issus d’une manipulation génétique, dont je n’approuve pas l’utilisation dans quelques domaines que se soit. Mais sincèrement, tout cela, je ne le sais pas et je ne peux pas le savoir, sans m’obliger à faire toutes les recherches qui s’imposent et qui, souvent, s’avèrent même impossibles. À ce sujet, je vous suggère de lire quatre extraits que je vous laisse en Annexe 2, 3, 4 et 5, tirés d’un livre de Laure Waridel et de ses collaborateurs, que je trouve très éloquents et qui nous laissent de sérieux doutes sur nos connaissances de consommateurs!

Quant à l’étiquetage qui fait croire à quelques-uns et à quelques-unes que nous n’avons qu’à apprendre à lire les informations qui y sont données pour bien connaître les produits que nous achetons, croyez-moi, il ne nous permet d’obtenir que bien peu d’information sur leur origine ne fut-ce que géographique. En effet savez-vous que selon les normes d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, le lieu d’origine d’un aliment inscrit sur un produit n’indique que le nom de l’endroit où l’on a déboursé le plus pour obtenir le produit final? Fabriqué au Canada indiqué sur une boîte d’ananas voudrait donc dire que 50 % des coûts de fabrication du produit fini ont été encourus au Canada. Des confitures de fraises dont l’étiquette indique produit du Canada, n’indique pas si les fraises provenaient de champs cultivés ici, avec nos normes environnementales et nos programmes sociaux pour les travailleurs agricoles, ou du Mexique, avec les leurs. Quant au produit identifié Qualité Québec,  il peut signifier indifféremment que l’aliment a été produit dans la province ou qu’au moins 50 % des frais de production ont été dépensés ici, dans le cas où la matière première n’existe pas au Québec. Donc, finalement rien de très clair sur l’histoire de ce produit simplement par l’étiquetage.41

Choisir sa nourriture

définir ses valeurs et ses choix

Parce que les produits alimentaires sont de plus en plus faits hors de notre conscience et malgré que tant de revues, de chroniques, de livres, soient offerts sur le sujet, nous sommes devenus de plus en plus ignorants de notre nourriture. La distance nous permet de ne pas nous préoccuper d’un certain nombre d’éléments. Par exemple, on estime que le trajet moyen parcouru par un aliment, de la ferme à la table, en Amérique du Nord, est de 2 400 kilomètres.42 Derrière tous les produits achetés en magasins se cachent plusieurs transformations et étapes dont on ne connaît que bien peu de choses. Qu’avons-nous perdu, qu’avons-nous gagné dans tout ce périple? Vers quoi voulons-nous aller?

Quelques-uns peuvent penser tranquillement que le système alimentaire d’aujourd’hui, en Occident, leur permettra le pseudo assurance d’être à l’abri de la faim jusqu’à la fin de leurs jours. Il est possible qu’il en soit ainsi, et nous le souhaitons tous, mais plusieurs indicatifs alarmants peuvent déjà nous faire douter de cette droite ligne, à moins que tous et chacun, particulièrement les plus démunis (mais évidemment pas seulement eux), s’organisent pour pourvoir reprendre un certain contrôle sur la trajectoire.

La majorité des Occidentaux ont gagné de ne plus se préoccuper quotidiennement de leur approvisionnement alimentaire, pendant qu’un nombre grandissant de leurs proches sont considérés comme des mal nourris et deviennent de plus en plus dépendants de l’aide alimentaire. La nourriture est devenue un loisir pour certains, une frustration pour d’autres et une énigme pour la majorité. Et de plus en plus, individuellement, nous désapprenons ce qu’est l’acte de nourrir son corps, d’être autonome. Nous perdons peu à peu la fierté d’être responsable de sa vie et d’en prendre soin. Nous avons perdu des occasions de nous lier à d’autres êtres humains dans l’acte si fondamentalement convivial de chercher sa nourriture, d’apprendre sur elle et de se nourrir. Était-ce vraiment ce que nous avions souhaité? Est-ce vraiment tout ce que nous souhaitons aujourd’hui?

En fait, comme acheteurs de produits alimentaires et comme citoyens, il ne nous est actuellement proposé qu’une seule voie : celle d’accepter ce qui nous est imposé, c’est-à-dire un système alimentaire solide et rectiligne à l’image des autres systèmes de la société, créateur d’iniquités : toujours plus d’uniformité, moins d’emprise sur sa vie, toujours plus d’aliénation, des plus forts qui décident pour tous. En somme, un système qui fait que 20 % de la population mondiale consomme plus de 80 % des richesses disponibles sur la terre.43 Soyons clair :

«La fuite vers la croissance ne peut donc que maintenir, et même agrandir, le fossé entre les deux humanités. Le rapport de un à seize, dans l’accès aux biens disponibles, entre les pauvres et les riches, deviendra un rapport de un à vingt, puis de un à trente, à cinquante. Combien de temps un tel déséquilibre sera-t-il supporté par ceux qui en sont les victimes?»44

(Voir : Chapitre IV, Écarts entre les pays, p. 44).

à C’est évident : plus d’égalité entre pauvres et riches, que ce soit dans un même pays ou entre les pays, demandera un rééquilibre difficile pour plusieurs. Comme dit Albert Jacquard, s’il arrivait que toute la population de la planète ait accès également aux ressources et se les partageait enfin équitablement, les privilégiés d’aujourd’hui verraient la disponibilité des ressources auxquelles ils ont accès, divisée par quatre.45

Courte conclusion

En guise de conclusion, je vous offre cette citation de Claude Fischler46 :

L’alimentation est, comme on l’a vu, l’un des piliers de l’identité, dans tous les sens du terme. Or il devient extrêmement difficile d’identifier les aliments eux-mêmes : leur origine est extérieure, parfois lointaine, étrangère; leur histoire est désormais, on l’a vu, difficilement accessible; leur préparation échappe de plus en plus à la conscience du consommateur final. Mais ce n’est pas tout : la technologie faisant aujourd’hui des miracles, elle permet à l’industrie de tromper à volonté ou presque les sens, de faire passer des protéines de soja texturées pour du bœuf haché premier choix. Colorants, arômes artificiels, renforçateurs de saveur, agents de texture et de sapidité, tout un arsenal d’artifices et de fards se conjuguent pour brouiller la perception du mangeur. À proprement parler, le mangeur consommateur ne sait pas ce qu’il mange. Il ignore donc quels effets ces nourritures non identifiées vont avoir sur lui. Le pire – l’empoisonnement plus ou  moins lent – n’est pas exclu. Mais ce qu’il redoute par-dessus tout, ce sont plutôt des transformations insidieuses, par exemple lorsqu’il apprend que le veau de boucherie est gavé de substances qui sont utilisées par ailleurs dans la fabrication de la pilule anticonceptionnelle. […].

L’aliment moderne n’a plus d’identité, car il n’est plus identifiable. Nous pouvons ainsi repérer l’une des sources profondes du malaise de la modernité alimentaire : il s’agit en somme d’un trouble de l’identité. À absorber quotidiennement des nourritures qu’il identifie mal, le mangeur en vient à craindre de perdre la maîtrise de son propre corps, à s’interroger pour ainsi dire sur sa propre identité. Si la formule «dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es» reflète bien, comme on peut le penser, une vérité non seulement biologique, non seulement sociale, mais aussi symbolique et subjective, il faut admettre que le mangeur moderne, doutant de ce qu’il mange, peut bien se demander parfois qui il est. 

Chapitre III

L’agriculture et l’industrie agroalimentaire 

Élever la production des uns ne peut se faire qu’au détriment de l’emploi des autres.

François de Ravignan  

Promouvoir une agriculture et un mode d’alimentation en mesure de préserver la santé de l’homme est donc un objectif prioritaire dans tous les pays du monde.

Claude Aubert

Notre panier d’épicerie hebdomadaire serait bien différent, beaucoup plus frugal, moins dispendieux également, sans les multiples apports de l’industrie alimentaire. En fait, je vous le dis, il serait pratiquement vide. L’alimentation est devenue une industrie et nous ne pouvons plus dire que nous consommons des produits agricoles, directement fournis par la nature, mais bien des produits alimentaires préparés par l’industrie.

Pourtant, aborder l’agriculture pour bien comprendre la question alimentaire, et conséquemment avoir des prises sur la sécurité alimentaire de tous, nous apparaît essentiel, puisqu’elle en est le berceau, la source même. Dans le présent chapitre, dans un premier temps, nous jetterons un coup d’œil sur le monde agricole d’ici et d’ailleurs, d’abord parce qu’il semble un peu perdu dans les dédales de notre mémoire collective, et surtout parce que son importance primordiale dans l’accession d’une solide sécurité alimentaire est sous estimée par plusieurs. Puis nous irons du côté de l’industrie agroalimentaire pour nous sensibiliser à son omniprésence et reconnaître le bien grand pouvoir qu’elle a sur nos vies.

Portrait général des paysages agricoles d’ici et d’ailleurs

L’agriculture est un secteur qui, de par sa structure même, est particulièrement vulnérable aux aléas climatiques et économiques. D’abord, l’existence d’une grande quantité de vendeurs (producteurs agricoles) face à seulement quelques acheteurs (intermédiaires ou industries) et un produit dont l’élasticité offre-demande est faible, font que les agriculteurs et agricultrices ne retirent pas toujours du marché leur juste part du prix final payé par les consommateurs.

Si la difficulté d’obtenir leur coût de production réel venait qu’à durer, les producteurs et les productrices agricoles se verraient dans l’obligation de cesser la production et la fragilité du secteur agricole, et conséquemment celle de l’approvisionnement alimentaire, seraient encore plus grandes. L’agriculture d’un pays ne peut donc être livrée qu’aux seules forces du marché : elle en mourrait, à plus ou moins longue échéance.

Bien qu’à peu près tous les pays reconnaissent à l’agriculture son rôle essentiel à une certaine sécurité et à un minimum d’autonomie pour leurs peuples, tous ne la soutiennent pas avec la même ardeur47 et, récemment, les politiques dictées par les règles du commerce international tendaient à convaincre (ou contraindre) les pays exportateurs de l’importance de réduire substantiellement le soutien accordé à leur agriculture.

Un peu partout dans le monde, les politiques agricoles des dernières années, notamment celles encouragées par le FMI (Fonds Monétaire International) et la Banque Mondiale, ont favorisé une agriculture commerciale, au détriment d’une agriculture vivrière de subsistance, visant prioritairement à nourrir sa population. Pour répondre à cette demande, l’agriculture traditionnelle – autosuffisante, peu mécanisée, nécessitant beaucoup de main d’œuvre – dont les fins étaient d’abord l’autarcie alimentaire, tend à faire place de plus en plus à une agriculture industrialisée, souvent contrôlée par des intérêts étrangers. Ainsi, aujourd’hui, douze grandes compagnies multinationales produisent 90 % des denrées alimentaires de la planète  et cinq détiennent plus de 56 % du marché au niveau de la transformation agroalimentaire.48

Les paysages agricoles se retrouvent partout dans tous les pays du monde. Seulement environ 11 % des terres émergées sont propices à l’agriculture.49 On estime la population rurale moyenne à environ 50 % de la population totale du globe, mais de décennies en décennies, elle tend à décroître, de même que la superficie cultivée. (On estime, au Québec, à environ 2,7 % la population active agricole.) Pourtant, la production agricole mondiale, elle, s’accroît de par l’amélioration de la productivité.50 De 1961 à 1992, la population mondiale a augmenté de 75 %, tandis que la production agricole a augmenté de 105 %.51

À l’échelle de la planète, en 1940, le travail d’un agriculteur pouvait nourrir 2,5 personnes et, en 1995, de 50 à 100.52 Par exemple, au Québec une ferme laitière moyenne en 1950 pouvait produire environ 3 000 litres de lait par vache : pour une ferme d’environ 25 vaches, elle produisait donc 75 000 litres par année et occupait toute la famille. En 1997, une ferme moyenne type occupe environ l’équivalent de deux personnes à temps plein (2 UTP) et, avec une quarantaine de vaches, peut fournir annuellement quelque 318 000 litres.53 C’est ce que l’on appelle une augmentation de la productivité.

Pourtant, même si c’est lui qu’on semble vouloir multiplier, selon l’avis de plusieurs, le modèle de développement de l’agriculture valorisé dans le «développement» des pays du Sud et dans celui des «pays émergents» est loin d’être le plus efficace et le plus durable : entreprise de grande envergure, financée en grande partie par des intérêts provenant de l’extérieur de l’entreprise ou même du pays, axée sur le commerce, fortement mécanisée, nécessitant une très grande quantité d’énergie, employant peu de travailleurs et créant de grandes disparités sociales et effritements de la communauté.

Du simple point de vue énergétique, la généralisation du système agroalimentaire américain conduirait à épuiser la totalité des réserves de pétrole en quelques décennies.54

[…] Car les gains de productivité reposent souvent sur des dégradations sociales dont la société devra tôt ou tard acquitter la facture : conditions de travail (de nuit, de miettes), pollution et rejets dans l’environnement, désertification appauvrissement des sol […]. 55

Au Québec : «s’unir pour s’aider»56

a) Portrait de notre agriculture

Contrairement à ce qu’on pourrait croire quand on vit à l’année longue dans une ville (et c’est le cas d’un grand pourcentage de la population occidentale), l’agriculture demeure un secteur d’activités de grande importance, non seulement sur le plan économique mais aussi sur le plan social et culturel. L’agriculture au Québec est un secteur plus important encore que celui des mines ou des forêts. En 1997, l’industrie agroalimentaire, en incluant le commerce de gros, a contribué  à 9 % du PIB (Produit Intérieur Brut) réel du Québec et un emploi sur neuf était généré par elle.57

Ici au Québec où environ 2 % de la population vit de l’agriculture, les terres de bon potentiel agricole sont rares et l’agriculture n’occupe plus que 1,74 M d’hectares, soit environ 2 % du territoire, comparativement à 3,67 M d’hectares en 1941.58 Ces bonnes terres se situent principalement autour de la vallée du Saint-Laurent, notamment en Montérégie où se fait près du tiers de la production agricole du Québec et où vivent plus de la moitié des Québécois. Les pressions sur les terres de bon potentiel sont donc doubles : d’une part, la pression que crée l’expansion des grandes et des petites villes et, d’autre part, celle que peuvent exercer sur ces bonnes terres les politiques encourageant une plus grande production agricole et une encore meilleure efficacité.

L’agriculture et l’industrie agroalimentaire d’ici sont encadrées par des lois et règlements agro-environnementaux  restrictifs et un contrôle serré de l’innocuité des aliments. Certes, on ne peut pas dire que ce système de contrôle soit parfait, néanmoins, il permet que des réglementations, protégeant les humains et leur environnement, soient mises en place et suivies. Il est loin d’être certain que tous les pays emploient des règles équivalentes.59

Par la force des choses (et peut-être était-ce leur tempérament?), les producteurs et les productrices agricoles du Québec ont dû rapidement unir leur force pour s’entraider, se protéger davantage, faire entendre leurs points de vue. En agriculture, la force impressionnante de la formule coopérative et syndicale, au Québec, est remarquable (Annexes 7 et 8).Il y a 75 ans, ils ont créé une union, l’Union catholique des cultivateurs (UCC devenue ensuite l’UPA), qui les regroupe tous et toutes depuis. Il y a une quarantaine d’années à peine, la situation d’inégalités des forces entre producteurs agricoles et intermédiaires, bien connue partout dans le monde encore aujourd’hui, se vivait aussi dans toutes les productions du Québec.

Suite à plusieurs pressions de l’UCC, le Gouvernement a mis en place la Loi des Marchés Agricoles du Québec, en 1956, permettant la négociation de contrats collectifs de mise en marché et réduisant l’état de dépendance totale des agriculteurs vis-à-vis des acheteurs. Depuis l’avènement de cette loi, plusieurs plans conjoints ont été mis en place par les producteurs : aujourd’hui, la majorité des productions agricoles du Québec font leur mise en marché sous une forme collective et plus de 75 % de la valeur totale de toute la production agricole du Québec est vendue collectivement.60 Il s’agit là d’une forme de «coopération obligatoire» à l’intérieur d’une production donnée, allant du très simple au très complexe (Annexe 7).

La Loi des marchés agricoles met en scène des règles qui visent à un meilleur partage de la richesse en travaillant à :

  • établir une certaine forme d’équilibre des pouvoirs des partenaires en présence sur les marchés agricoles : les producteurs agricoles, les acheteurs intermédiaires et finaux;
  • procurer un moyen d’éviter les fluctuations d’offre ayant un effet déstabilisateur et ou dépressif sur les prix et sur l’approvisionnement à moyen terme;
  • établir une forme d’équité ou d’égalité des chances entre les producteurs agricoles québécois eux-mêmes; c’est-à-dire que, quelle que soit sa situation géographique, qu’il soit petit ou gros, le producteur vend ses produits aux conditions convenues.61

Parallèlement, est venu s’adjoindre à tout cela un nécessaire soutien de la part de l’État, notamment pour assurer le maintien de revenus agricoles convenables. Convaincu par la classe agricole, l’État québécois a mis en place l’Assurance-stabilisation des revenus agricoles (ASRA), l’Assurance-récolte, le Crédit agricole ainsi que divers autres programmes et lois, notamment celle de la Protection du territoire agricole (zonage) en 1978.

b) Des politiques adaptées aux promesses

Un des traits caractéristiques des fermes québécoises est la forte proportion de fermes dites familiales qu’on y retrouve encore. Ce sont des fermes dont la gestion et le principal du travail et de l’investissement sont fournis par les propriétaires. Si la ferme de type familial existe encore au Québec, plus fortement qu’à peu près partout dans le monde industrialisé, et que notre agriculture ressemble à ce qu’elle est aujourd’hui, c’est que plusieurs grandes décisions politiques revendiquées par l’UPA et mises en place par les gouvernements lui en ont donné la possibilité et l’ont orientée vers certains objectifs bien définis. Nommons-en ici quelques-unes :

  • Il y a un peu plus de trente ans, en 1965, une Commission Royale d’Enquête recommandait clairement que soit développée l’agriculture du Québec, pour permettre que la nourriture des Québécois puisse être la moins chère possible. Ce qui a alors été mis en place a permis que, même aujourd’hui, le coût du panier alimentaire au Québec soit le moins cher au monde.62
  • De 1975 à 1995, l’agriculture entre dans l’aire industrielle : l’objectif des gouvernements est de promouvoir une agriculture visant l’autosuffisance du Québec. Cet objectif a lui aussi été atteint.  En 1978, l’autosuffisance du Québec, calculée sur une base de balance commerciale63 était de 65 %. Elle est aujourd’hui de 100 %.
  • On sait que les États-Unis sont les plus importants exportateurs de produits agroalimentaires au monde, mais sait-on que le Québec, toute proportion gardée entre le nombre d’habitants d’un pays comme de l’autre, est aussi performant que ses voisins à cet égard? Déjà au milieu des années 80 et plus particulièrement encore depuis 1995, l’ouverture des marchés et la libéralisation du commerce ont une fois de plus modifié les objectifs qu’on a voulu faire poursuivre à l’agriculture. Par les politiques agricoles en cours, on veut désormais encourager le monde agricole à participer davantage à l’effort pour permettre au Québec de réduire son déficit, augmenter son PIB, faire baisser son taux de chômage (Annexe 9) Ainsi, lors du la Rencontre des décideurs de mars 1999, qui faisait suite au Forum sur l’agriculture et l’agroalimentaire tenu à Saint-Hyacinthe en 1998, il a été décidé, que l’agriculture ferait sa part!64 On veut lui faire jouer encore mieux son rôle de moteur économique. Le développement de notre agriculture se fera donc de plus en plus par le biais de l’ouverture aux marchés internationaux, en priorisant la valeur commerciale de l’exportation des produits agricoles.

Que peut-on dire de l’agriculture québécoise d’aujourd’hui, celle qui a résulté de toutes ces orientations? D’abord que nous sommes reconnus comme de bons producteurs de lait, de porcs, de volailles et d’œufs. Nos productions maraîchères – fruits et légumes frais ou de conserveries – ainsi qu’ornementales, de bovins et de grandes cultures (maïs, avoine, blé, etc.) sont aussi importantes (Annexe 10). Plus globalement, nous pouvons affirmer que :

  • l’agriculture au Québec est plutôt en bonne santé (bien sûr le nombre de fermes continue de baisser, mais les agriculteurs qui restent vivent relativement bien, certains même très bien). Que l’agriculture qu’ils font est relativement bien protégée par les politiques mises en place et par plusieurs règles internes qu’ils se sont données collectivement, tant au niveau des revenus agricoles des fermes que de la protection de l’environnement. Cependant notons que tout n’est pas rose et que certaines situations inquiètent plus d’un producteur et productrice agricole : la ferme familiale, il ne faut pas se le cacher, est en perte de vitesse et l’intégration (Annexe 11) prend de plus en plus d’ampleur dans certaines productions; la relève agricole (Annexe 7) a de plus en plus de difficulté à se faire une place;  la hausse des prix des entreprises agricoles et de la terre est devenue inquiétante. Et il semble que certains gestionnaires d’entreprises agricoles (des producteurs et des productrices agricoles) se sentent contraints à prendre des décisions lourdes de conséquences, tant pour leur entreprise que pour l’agriculture en général, afin de réussir à suivre  tant bien que mal les diktats du marché. Ils sont prêts à acheter à gros prix du quota pour produire davantage, de nouvelles terres pour rentabiliser la nouvelle machinerie, achetée pour améliorer le rendement;
  • les producteurs agricoles canadiens reçoivent du marché une plus grande part de leurs revenus que les producteurs états-uniens, ce qui indique que les négociations avec les partenaires se font relativement bien et plus équitablement65. En effet, par exemple, les producteurs laitiers canadiens reçoivent 52 % du prix de vente du lait sur le marché de détail, en comparaison à 35 % pour les États-uniens.
  • le revenu d’exploitation net par ferme66, au Québec, est le plus élevé du Canada et plus stable qu’ailleurs;
  • le consommateur québécois est approvisionné avec régularité, à un coût difficile à concurrencer et plus stable que sur bien d’autres marchés dans le monde, et ce pour une bonne part des produits de base de son alimentation (Annexe 10).

L’industrie agroalimentaire québécoise

Quotidiennement, à l’épicerie du coin, sans trop s’apercevoir de la prouesse quotidienne que cet état exige, nous avons accès, sans surprise, à un immense éventail de produits alimentaires provenant de tous les coins de la planète : ainsi, kiwi, café, sucre, font partie de notre quotidien. Pour ce faire, le commerce des produits alimentaires se doit d’être l’un des plus performants et actifs au monde. La technologie nécessaire pour l’obtention de tant de produits – de partout dans le monde au même moment – est devenue de plus en plus complexe et demande de plus en plus d’énergie.

Lorsqu’on parle de l’industrie agroalimentaire, on parle d’un réseau très dense, qui inclut les secteurs de l’agriculture, des pêches, de la transformation d’aliments et de boissons, du commerce d’aliments et de la restauration. Donc toutes les étapes entre la production des denrées de base jusqu’à la table des consommateurs. En 1992, en Montérégie seulement, cette industrie employait plus de 46 000 personnes et au Québec 389 000. Cela représentait plus d’un emploi sur 9 au Québec, et certainement encore davantage en 1999. Elle joue un rôle de toute première importance dans le développement ou le simple maintien en vie des régions et, comme on l’a déjà dit, elle contribue fortement à la santé économique du Québec.67

Environ 75 % de notre panier alimentaire est passé par une quelconque étape de transformation, lui prodiguant ce qu’on nomme une plus grande valeur ajoutée68. Les produits alimentaires que le Québec exporte sont d’ailleurs de plus en plus à valeur ajoutée, dans une proportion beaucoup plus grande qu’au Canada. Au Québec, 81 % de nos exportations alimentaires sont des produits à valeur ajoutée, alors que la moyenne canadienne est de 57 %.

La distribution alimentaire au Québec

Au Québec, en 1998, 72 % de la valeur de notre alimentation était achetée en épicerie et 28 % au restaurant. Au début des années 60, est né le concept de grandes surfaces : les supermarchés. Ils se sont développés à travers le monde occidental d’une manière fulgurante. Au Québec, 71 % des achats alimentaires se font dans ces supermarchés; ceux-ci peuvent appartenir soit à une chaîne d’alimentation (et ils sont alors gérés par le gérant nommé par la compagnie – Provigo, Loblaw’s, etc.), soit à un détaillant propriétaire affilié à la chaîne.69 Les épiceries de plus petites surfaces ont perdu énormément de terrain, en passant, seulement entre 1992 et 1997, de 31,7 % à 19,6 % des parts du marché.70

Si on regarde à nouveau le même marché des produits alimentaires, cette fois sous l’angle du type de propriété des épiceries au Québec (Annexe 12), on verra rapidement une nette particularité du Québec par rapport aux autres provinces canadiennes. Il existe au Québec une Association des détaillants en alimentation (ADA) qui regroupe les propriétaires d’épiceries et qui défend, en leur nom, leurs intérêts, notamment face à la croissance des grandes chaînes un peu partout dans le monde occidental. Néanmoins, au Québec, la part du marché détenue par les détaillants propriétaires affiliés à une chaîne est demeurée stable à environ 60 %, depuis plusieurs années, au moins jusqu’à novembre 1998, dernière date pour laquelle j’ai des données.71 À l’inverse, la moyenne canadienne indique 38 % de propriétaires indépendants affiliés contre 31 % de magasins dont la gérance est exécutée par la chaîne (Annexe 13).

Comment interpréter les conséquences de cette réalité chiffrée, au regard du pouvoir que l’on veut garder sur notre alimentation? Je vous raconte une histoire toute récente : Vous savez peut-être que Provigo, au Québec, a été acheté à l’automne 1998 par la compagnie Loblaw’s d’Ontario. Je connais une productrice de tomates de serres qui s’étonnait, au printemps dernier (1999), d’un changement notoire d’attitude de la part du gérant du Provigo, qui d’ordinaire, lui achetait ses tomates roses depuis plusieurs années. Cette année, selon ce dernier, les consommateurs ne demandaient plus que des tomates rouges et dans la circulaire Provigo, bien sûr, on annonçait plus que des tomates rouges, alors que dans la région, les tomates roses avaient toujours été les vedettes. En conséquence de ce qui était dit dans la circulaire, les étalages du magasin ne présentaient évidemment plus que des tomates rouges.

La productrice ne comprenait pas vraiment pourquoi les consommateurs ne demandaient plus de ses tomates roses et ne s’était pas questionnée davantage. Quand je l’ai interrogée récemment pour savoir si elle avait perçu des différences dans la gérance du magasin depuis l’arrivée des nouveaux propriétaires, elle m’a dit « qu’il était peut-être possible de penser que le gérant avait moins de marges de manœuvre dans ses achats, que la maison-mère en Ontario lui avait probablement dicté certaines directives plus contraignantes et, peut-être, que les arrivages de tomates rouges, dont on ne sait la provenance, avaient été décidés de bien loin. » Mais ce n’était, bien sûr, qu’une supposition. Elle ne saura peut-être jamais la vraie version des faits.

Au Québec, maintenant, nous aurons de plus en plus affaire à des gérants dont la marge de manoeuvre au niveau des décisions, notamment en ce qui concerne les achats, sera restreinte par les choix imposés par la bannière, qu’elle se nomme Loblaw’s, Métro ou IGA. Bien que restreinte également, il est plausible que la marge de manoeuvre des détaillants propriétaires, sous bannière ou non, soit plus large que celle des gérants d’épicerie.

L’arrivée au Québec des Club Price, Wall Mart, Loblaw’s et Sobey’s modifie sensiblement le paysage de la distribution alimentaire et fait en sorte qu’une part de plus en plus petite du marché est détenue par des intérêts québécois. Lorsque la majorité des nos achats alimentaires sera faite dans des épiceries sous bannière étrangère, gérées par des gérants nommés par la bannière plutôt que par le propriétaire, quel poids ou influence politique nous restera-t-il, comme consommateur et comme citoyen, pour privilégier des produits de telle ou telle provenance ou faire influencer les politiques d’achats? On peut penser que le consommateur est roi : mais quand l’information nécessaire à un choix éclairé est contrôlée, peut-on dire qu’il est encore le roi?

Chapitre IV

Le contexte mondial

Nous sommes les premiers êtres humains à vivre au quotidien la mondialisation de l’économie. Deux myopies hypothèquent nos capacités créatrices : le court terme à tout prix, sur et par l’argent, et l’individua­lisme anonyme.

Ricardo Petrella

On l’a déjà dit, au travers des lunettes de l’omniprésent développement commercial et économique, le premier rôle ou la première «utilité» de la nourriture n’est plus d’abord alimentaire : aux yeux des plus puissants et des décideurs, l’alimentation remplit, avant toute chose, une fonction commerciale. Désormais, le commerce est vu comme un fin en soi et avec ces lunettes, l’être humain est en premier lieu un consommateur, un homo economicus.72

Nous jetterons ici un coup d’œil sur quelques aspects du commerce international et sur certaines de ses règles qu’il faudra apprendre à surveiller, si on veut garder un tant soit peu les rennes de notre alimentation, de notre santé, de notre vie. Peut-être serons-nous en mesure ensuite d’en reconnaître les postulats de base et de nous questionner sur le consentement qu’on leur accorde.

Cadre général du commerce international

L’élargissement du commerce à l’échelle mondiale et l’assouplissement des règles qui l’encadrent font partie des tendances lourdes de notre société. Mondialisation du commerce, libéralisation du commerce, mondialisation des échanges, marché global, accords bilatéraux, toutes ces expressions parlent du même courant :

  • adulé par certains économistes et par toutes les personnes qui espèrent en tirer profit;
  • craint par ceux et celles qui savent qu’ils et qu’elles ne sont pas de taille pour affronter la longue et forte compétition qui s’annonce avec les plus puissants de ce monde;
  • et dont on pourrait croire que les règles du jeu sont presque des lois de la nature, donc inéluctables, ce qui est fondamentalement erroné.

Ce courant tente de faire en sorte que, par une plus grande souplesse des règles commerciales, le marché soit enfin libéré de toutes entraves et puisse prendre de plus en plus d’expansion. Il sous-tend implicitement que cette expansion est le désir de tous et qu’elle se fera pour le meilleur de chacun. Mais selon l’avis de plusieurs et selon le mien également, ces postulats de base méritent d’être fortement remis en question; le bien- fondé de la mondialisation des marchés est de plus en plus ouvertement mis en doute et contesté par plusieurs citoyens, penseurs, philosophes, sociologues et par de plus en plus d’économistes aussi.73

En 1947, quelques pays voulant développer le commerce de leurs produits, entre autres pour se départir de leurs énormes surplus de production d’après-guerre, ont accepté de se donner un code de bonnes conduites commerciales, auquel ils ont par la suite librement consenti. Ils ont signé le GATT.74 Périodiquement depuis, ces accords ont été remis sur table et renégociés par les pays signataires, lors de rondes de négociations.

Dans les années 80, le GATT était-il devenu un carcan trop serré pour l’expansion du libéralisme? Certains pensent que oui et que ce fut là la raison principale pour laquelle, lors de la dernière ronde de négociations, on décida de lever encore plus de barrières et de «libéraliser le commerce» davantage, entre autres dans le secteur de l’agriculture qui avait, jusque là, fait l’objet d’une protection et de mesures spéciales.75 Il y avait aussi que la majorité des litiges commerciaux qu’on avait eu à gérer concernaient l’industrie agroalimentaire.

L’ouverture de l’Uruguay Round, en 1986-87, s’est donc faite sous le thème d’une incontournable limitation des interventions des états, notamment dans le secteur agroalimentaire, interventions qu’on accusait de créer des distorsions nuisant au bien-être de tous et de chacun, mais surtout, évidemment, à celui du libre commerce lui-même.

Le 1er janvier 1995, après sept années de négociations entre les 132 pays membres, l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) s’est substituée au GATT. Elle comprend diverses instances, notamment un tribunal du commerce. L’OMC n’est donc plus uniquement une série de bonnes intentions sur lesquelles on a bien voulu s’entendre, mais un ensemble de règles sérieuses auxquelles les pays signataires doivent se conformer, sous peine de sanctions. En cas de conflit sur l’application ou l’interprétation d’un règlement (ce qui est de plus en plus fréquent), des sanctions peuvent être appliquées au pays fauteur. Trois ententes ou mécanismes sont maintenant assignés au secteur de l’agroalimentaire :

  • L’accord sur l’agriculture (où on parle d’accès plus grand aux marchés internes, de réduction du soutien interne et de subventions à l’exportation).
  • L’accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires (qui concerne des mesures mises en place pour protéger la vie et la santé des êtres humains, des animaux et des plantes).
  • Le mécanisme de règlements des différends (comprenant des règles et procédures à suivre, en somme, un tribunal).

L’Accord relatif à l’agriculture de l’OMC a mis en marche un processus de réforme des politiques agricoles. Ce processus n’est pas terminé puisque les pays membres de l’OMC se sont entendus pour le poursuivre en reprenant des négociations multilatérales à compter de 1999, dans lesquelles le secteur agricole risque d’être de plus en plus impliqué et pour lesquelles nos organisations agricoles canadiennes (notamment l’Union des Producteurs Agricoles, la Fédération Canadienne de l’agriculture), de concert avec les ministères concernés se préparent avec sérieux, depuis déjà un bon bout de temps.

Outre l’OMC, d’autres accords visant la libéralisation du commerce existent un peu partout.  Ne nommons que le célèbre ALÉNA (Accord de libre échange de l’Amérique du Nord), signé par le Mexique, les États-Unis et le Canada. Nommons aussi l’Union Européenne, à laquelle de plus en plus de pays adhèrent.

Promesses et prétentions de la libéralisation du commerce

Un des messages du «Consensus de Washington», au début des années 80, était qu’avec plus de libéralisme et moins d’inflation, suivrait le développement. Bien que de plus en plus de voix se prononcent en vue d’un sérieux requestionnement de ce point de vue, nul doute que les échanges internationaux prennent de plus en plus d’ampleur et il semble bien que ce soit irréversible. Il y a et il y aura encore de plus en plus d’échanges qu’ils soient d’ordre commercial, culturel ou informationnel à l’échelle de la planète (Annexe 14). À qui profiteront-ils, à quels égards le feront-ils et pour combien de temps encore? Et, advenant qu’il y en ait, quels seront les gains pour l’humanité, pour la richesse globale des humains? On peut se poser la question.

Que les communications entre pays deviennent de plus en plus fréquentes et faciles pourrait apparaître bénéfique pour une humanité qui veut s’ouvrir, pour des humains dont l’identité ne peut prendre forme que par leurs échanges avec d’autres êtres humains.76 Si ce n’était d’un certain nombre de postulats de base que je considère biaisés et qu’il me semble nécessaire de mettre ici en lumière, je souhaiterais, moi aussi bien sincèrement, l’épanouissement des échanges internationaux. Ces postulats sont notamment :

  • que le seul moteur du progrès, c’est la compétition entre humains, entre entreprises, entre pays;
  • que nulle autre voie ne nous est offerte et qu’il faille, par conséquent, tenter à tout prix d’être les gagnants de cette dure compétition, si on ne veut pas être les perdants;
  • qu’il est normal, voire naturel, qu’une relation, se vive toujours sous le mode dominant-dominé, gagnant-perdant, plus fort-trop faible.77

Personnellement j’ai beaucoup de réticences à les accepter, ces postulats! Et surtout à consentir à ce qu’il ne me soit offert que deux alternatives : être une gagnante, donc un faiseuse de perdants78 ou faire partie de la majorité des perdants.

Le saviez-vous, la Terre ne peut abriter qu’un nombre très limité d’humains comme moi, avec des besoins comme les miens, dépensant autant d’énergie et de ressources naturelles que moi, lui laissant en héritage autant de marques indélébiles. Puis-je continuer à consentir à ce que ma consommation excessive, notamment de matières premières et d’énergie fasse en sorte que la majorité n’ait pas accès au minimum? À ce sujet, Albert Jacquard disait :

Oui, la Terre peut nourrir les dix ou onze milliards d’hommes qui la peupleront dans moins d’un siècle, elle pourrait même en nourrir, grâce à quelques progrès, le double.  Mais certains hommes ne se contentent pas de demander à la Terre leur nourriture; ceux qui peuplent les pays «développés» exigent d’elle de multiples richesses non renouvelables ou dont le renouvellement est beaucoup plus lent que la consommation qu’ils en font.  Combien d’hommes ayant le comportement actuel de ces «riches», la Terre peut-elle supporter? Tout au plus 700 millions. Cela signifie que l’accès à ce mode de vie est, en raison de contraintes physiques indépassables, interdit à 80 % des terriens d’aujourd’hui, et le sera à plus de 90 % de leurs descendants à la fin du siècle prochain.

Il est donc impossible que le modèle de développement que mon pays transporte puisse être adopté par tous les pays et que les règles dictées pour le «grand jeu de la mondialisation» des échanges par les pays les plus riches puissent être suivies par beaucoup d’autres que nous, pays dits riches, développés, occidentaux, avec les conséquences que l’on sait maintenant sur l’énergie, le nombre de plus en plus élevé d’exclus et de pauvres, le taux de chômage, etc. De plus, ce «grand jeu» exige des pays les plus pauvres qu’ils viennent se battre supposément d’égal à égal sur le terrain des plus puissants de ce monde. On les contraint à penser uniquement en faveur du marché (souvent au nom de la démocratie et des droits de l’homme), et non pas en fonction de l’augmentation de la richesse globale de leur pays et des êtres humains. On leur impose des mesures drastiques de réduction des déficits, tout cela, en ayant souvent à la bouche la parole devenue célèbre de la Banque Mondiale : There is no alternative.79 Il est donc aberrant de réaliser que c’est pourtant ce modèle qui mène le bal dans la mise en place des règles entourant le commerce international, que la plupart des pays s’impatientent de vivre. Nous entraînons le monde dans notre mode de pensée et à suivre notre mode de vie.

Et maintenant, quelques constats

Par le retrait des barrières au commerce, la libéralisation prétend favoriser la bien connue «main invisible du marché et ses vertus égalisatrices». On a longtemps pensé, et on le dit encore, que le marché libre, livré à ses propres forces et «lois», augmenterait la richesse du monde et produirait un meilleur équilibre entre pays. C’est du moins ce que prétend toujours la théorie économique et dans un monde idéal, où se vivrait une parfaite concurrence et où l’accès aux matières premières serait illimité, cet état, peut-être, pourrait advenir. Malgré les statistiques accablantes, on continue à dire que les pays les plus pauvres, en participant davantage à un commerce libéré d’entraves, pourraient produire plus de richesse globale, bénéfique à tous leurs habitants. Mais la réalité est toute autre et il semble bien qu’on ait de la difficulté à l’admettre. Aujourd’hui, l’état du monde nous permet de constater que plus de commerce entre pays ne produit ni plus de richesses, ni plus d’équités entre riches et pauvres. On peut même penser qu’il produit le contraire : à titre d’exemple, le volume des exportations de l’Afrique a effectivement augmenté de 4 % depuis 10 ans, mais les recettes ou bénéfices engendrés par ce commerce ont diminué de 6 %.80 Voici d’autres exemples d’écarts qui grandissent entre riches et pauvres, malgré les échanges internationaux qui s’intensifient :

Au Québec81

  • 20 % des plus pauvres : 3,7 % des revenus totaux;
  • 20% des plus riches : 43 % des revenus totaux; Et on dit que cet écart s’agrandit toujours.
  • Écarts entre les pays (1993)82
Pays les plus pauvres Pays les plus riches
4,3 MM d’habitants 0, 8 MM d’habitants
Revenu moyen de 379 $ Us Revenu moyen de 23090 $US
78,1 % de la population mondiale 5 % de la population mondiale
17,1 % du revenu mondial 78,5 % du revenu mondial

 

  • La dette extérieure des pays en voie de développement s’est multipliée par 3, de 1980 à 1994.
  • Le chômage et l’exclusion dans les pays plus développés économiquement sont à la hausse.84
  • L’endettement et l’insolvabilité dans le monde ne font qu’augmenter : tant au niveau des pays, qu’au niveau des citoyens.85

Bien sûr, on brasse de plus en plus de sous et les marchés financiers ne s’en plaignent pas.86 Strictement en ce qui concerne les produits agroalimentaires, le volume des exportations a plus que triplé depuis 1985, mais la production, elle, n’a augmentée que de 5 %. En 1996, le commerce agroalimentaire représentait 10 % de la valeur de toutes les marchandises commercées au niveau mondial : de 1990 à 1996, il a augmenté de 4,5 % par année, alors que pour cette même période, la croissance de la production agricole n’a été que de 1,5 % par année. Il est clair qu’on échange plus, non pas qu’il y a création supplémentaire de richesse collective.87

Ce sont les géants qui se disputent les nouvelles parts du marché international, notamment les nouveaux marchés d’Amérique du Sud, des pays du Sud-Est Asiatique et de l’Europe de l’Est. En 1995, des géants de l’agroalimentaire tels Philip Morris (Annexe 15), Nestlé, Unilever, RJR Nabisco, PepsiCo et Coca-cola, totalisaient à eux seuls plus de 200 Milliards $ US de revenus annuels88 et contrôlaient plus de 56 % de la transformation des produits alimentaires au niveau mondial. Une vague de concentration d’entreprises sans précédent est en marche : des marques sont achetées puis rapidement liquidées par les nouveaux propriétaires. Ainsi, certaines marques de commerce disparaissent  graduellement, sans qu’on ne s’en rende vraiment compte. On sait de moins en moins qui sont ces Compagnies et à qui elles appartiennent réellement, donc qui achète le fond de terre, qui dicte les règles, etc.89

L’économie de marché, telle qu’on la vit, ne profite pas également à tous, mais bien à une toute petite part de l’humanité. Il y a effectivement de plus en plus de mouvement et d’échanges de produits, mais ils ne profitent à la demande que de 15 % de l’humanité, soit essentiellement aux 25 pays de l’OCDE (Organisation pour la Coopération et de Développement Économique)90. Les deux tiers du commerce mondial des produits agricoles et agroalimentaires sont contrôlés par les pays développés.91 La part des exportations des pays les moins développés ne représentait que 0,7 % du commerce mondial en 1975 : elle n’a pas cessé de diminuer depuis.92

«Régi par la loi de l’offre et de la demande, le libre-échange avantage ceux qui parviennent à produire le plus possible en dépensant le moins. Plus souvent qu’autrement, on ne tient pas compte du coût véritable de cette pratique, en ce qui concerne la contamination de l’environnement et ses répercussions sociales (pertes d’emplois, exploitation des travailleurs et abus de toutes sortes).  La compétitivité est la reine du jeu, c’est la loi des plus forts. Ainsi, les compagnies les plus puissantes peuvent faire voyager leurs capitaux et exploiter leurs entreprises là où les normes environnementales sont le moins exigeantes et les salaires les plus bas. De plus, réalisant des économies d’échelle, elles peuvent se permettre de vendre leurs produits moins cher que les petites entreprises. La concurrence est rude pour ces dernières, même si elles jouent un rôle capital pour la santé des économies locales.»93

Et on continue à dire que l’ouverture des marchés produira plus de richesses? Mais au bénéfice de qui, je me repose encore la question.

Objectifs du Québec en matière de commerce international

Le Québec fait partie des pays engagés dans ce mouvement vers plus de libéralisme économique. Il souhaite bien se positionner de manière à tirer sa part de la prospérité tant promise : une balance commerciale améliorée, plus d’emplois permettant un meilleur pouvoir d’achat à plus de gens, plus de biens matériels pour chacun et plus de richesses individuelles et collectives sont espérés.

L’industrie agroalimentaire, comme on l’a mentionné plus haut, est un moteur économique puissant pour notre pays. Aussi, a-t-on voulu récemment le mettre à contribution d’une manière particulière et formuler des objectifs de croissance pour permettre la prospérité tant attendue.94 Présidée par le Premier Ministre lui-même, la Table des décideurs, réunis en mars 1999, a entériné les plans d’action proposés par le secteur agroalimentaire (Annexe 9), dont les objectifs sont que d’ici l’an 2005 :

  • les exportations de produits agricoles et agroalimentaires québécois aient été doublées pour atteindre une valeur de quatre milliards de dollars en 2005;
  • 15 000 nouveaux emplois dans ces secteurs aient été créés;
  • 7,5 milliards de dollars aient été investis sur les fermes québécoises.

C’est un fait que le Québec agroalimentaire semble bien positionné pour participer à ce marché qu’on dit en plein développement. Mais il est aussi vrai que nous ne sommes pas les seuls et que les pays où la demande est en progression (notamment les pays du Sud Asiatique, de l’Amérique latine et de l’Europe de l’Est) vont tenter, eux aussi, de s’auto suffire et que d’autres pays vont également tenter de faire partie des «gagnants». Nous ne seront pas les seuls en course et elle sera sauvage.

Jusqu’à maintenant, le corollaire nécessaire à l’entrée du Québec dans la ronde du commerce agroalimentaire international est qu’il faudra réduire considérablement le soutien de l’État. Or comme on l’a dit plus haut, de par sa structure même et la vulnérabilité que en découle, la stabilité d’une agriculture tient beaucoup aux règles en gérant son soutien et son développement. À l’été 1999, en vue des prochaines négociations de l’OMC, nos organisations agricoles canadiennes se sont entendues entre elles pour que soit préservé le soutien de l’État à l’agriculture.

Depuis quelques décennies au Québec, le développement de l’agriculture s’appuie notamment sur quatre piliers dont il ne saurait être question d’en réduire l’importance pour l’instant : le crédit agricole, l’assurance stabilisation des revenus agricoles, l’assurance-récolte, la mise en marché collective. Les agriculteurs et agricultrices, via leur regroupement syndical (UPA), y tiennent et le Gouvernement semble être disposé à en garantir une certaine continuité. Mais les pressions internationales seront de plus en plus fortes pour les faire disparaître. Est-ce vraiment le choix que nous voulons faire et, encore une fois,  au nom de qui et de quels bénéfices?

Dans ce contexte où on exige de moins en moins de soutien de l’État à l’agriculture, et où les grandes compagnies agroalimentaires usent de leur pouvoir, comment pouvons-nous être certains de conserver une certaine autonomie alimentaire ?

Courte conclusion

Dans le contexte de ce qu’on appelle la mondialisation des échanges dans lequel le marché est roi, les produits alimentaires doivent plus que jamais garder un statut particulier et être vus comme davantage que de simples produits commerciaux. Ils sont de trop près liés à la dignité humaine et à la présence ou à l’absence d’autonomie réelle des sociétés et des individus, pour que leur circulation ne soit gérée que par les seules lois du marché.[95]  Comment s’assurer à moyen et long terme une réelle sécurité alimentaire, sinon par le maintien d’une agriculture saine, soutenue par des politiques adaptées et par toute la population?

Chapitre V

Des mains humaines pour une politique de sécurité alimentaire pragmatique et communautaire

 

Pour sauver le marché, l’Occident accepte de sacrifier la démocratie. Celle qui serait de lutter contre la pauvreté, l’injustice et l’iniquité.

Ignacio Ramonet

Nous venons d’aborder la question de la mondialisation du commerce, en montrant comment cela a des répercussions sur nos modes d’alimentation. Il est maintenant nécessaire de revenir au Québec, à Montréal, pour resituer les enjeux de la sécurité alimentaire.

La notion de sécurité alimentaire est actuellement discutée dans plusieurs groupes communautaires. Nous savons qu’elle est reliée intimement au «droit de se nourrir», inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont nous avons célébré le 50e anniversaire le 10 décembre 1998. Mais comme beaucoup de droits sociaux ou politiques, il demeure un droit à approfondir, à conquérir et à faire respecter. C’est, à mon avis, un problème politique, au sens le plus large du terme, qui déborde les seules activités du manger et du boire et qui concerne la communauté, la citoyenneté. En somme, la question de la sécurité alimentaire nous regarde tous et toutes au plus haut point, social et moral, et nous interroge radicalement sur le type de société que par notre consentement nous encourageons et, aussi, sur celui que nous souhaitons.

Comme l’environnement, la sécurité alimentaire représente, sans contredit, un défi de fond dans le chantier du prochain millénaire. La malnutrition (celle que nous avons décrite au chapitre I) ne représente que la partie émergée de l’iceberg, sous la surface duquel, on trouve des individus, des femmes et des hommes écrasés par la hiérarchie sociale et politique.96 Et lorsqu’on regarde de plus près ce qui se passe chez ces gens pauvres et ces plus pauvres, on entrevoit bien ce qui risque d’advenir : une «société de disqualifiés sociaux»97 et d’exclus au sein même des sociétés dites les plus riches et démocratiques du monde. Un tel paradoxe, en Occident, met en question pas moins que nos modes de penser et d’agir.

Avant d’aborder comme telles les pistes et les perspectives d’une politique de sécurité alimentaire dans le prochain chapitre, il me semble important d’expliciter quelques fondements, à savoir :

  1. une définition de la sécurité alimentaire;
  2. des critères d’intervention;
  3. les culs-de-sac de l’aide;
  4. une reconquête des sens d’une citoyenneté véritable.

Une définition de la sécurité alimentaire

Selon La Table de concertation sur la faim et le développement social du Montréal métropolitain, la sécurité alimentaire, c’est la capacité de choisir des aliments de qualité, à des prix abordables, en exerçant en tant que collectivité un contrôle sur son alimentation et sur sa vie. Ce contrôle est davantage qu’un accès à la nourriture et à l’information nutritionnelle, il constitue un des moyens pour décider ensemble d’un mieux-être et d’un mieux-vivre collectifs et pour travailler à leur atteinte.

Cette courte définition s’appuie sur une conception où l’être humain est perçu non pas comme un spectateur passif ou comme un consommateur-client, mais plutôt comme un acteur de premier plan : un citoyen. Cela conduit, par conséquent, les participants à la Table, à travailler étroitement avec les citoyens et les citoyennes, avec les regroupements de citoyens et de citoyennes ainsi qu’avec différents organismes du milieu afin qu’ils gagnent progressivement, d’une part, un pouvoir sur leur alimentation et, d’autre part, que cela contribue à renforcer le tissu démocratique de la communauté montréalaise, et du même coup, de la société québécoise.

En clair, l’approche de la Table veut favoriser la mise en place de réseaux durables à travers lesquels les femmes et les hommes reprendront du pouvoir sur leur alimentation et sur leur vie. Et ce faisant, ils et elles reprendront confiance en leurs capacités individuelles et collectives, en toute dignité.

C’est ainsi que s’occuper d’alimentation, comme on dit, devient une expérience fondamentale d’autonomie. C’est un ressort solide qui accroît la capacité des individus et de la communauté à exercer des responsabilités de plus en plus larges quant à l’alimentation, à l’ensemble de son avenir, au développement social, démocratique, culturel et économique de leur milieu.

C’est une façon singulière de s’inscrire dans une dynamique de développement social durable ayant pour horizon d’attente une «citoyenneté incarnée», plutôt qu’une inéluctable «disqualification sociale enrichie et progressive».

Des critères d’intervention98

Selon la Table, la conception d’une réelle sécurité alimentaire doit faire partie intégrante d’une perspective d’ensemble, d’une politique de développement social durable, sinon elle irait à l’encontre des objectifs visés, c’est-à-dire la mise en œuvre d’une politique de sécurité alimentaire pragmatique et communautaire, dont le moteur se doit d’être alimenté, d’une part, par le droit à se nourrir dans la dignité et non pas par celui d’être simplement nourri; et, d’autre part, par l’habilitation à exercer progressivement, mais véritablement, sa citoyenneté. Tout cela appelle aussi la prise en compte de la nécessité d’un revenu décent, des dépenses liées au logement, d’une formation adéquate et d’un environnement qui favorise la sécurité et la santé.

C’est ainsi qu’à la Table, on comprend la sécurité alimentaire en terme de processus. Trois grandes balises orientent les initiatives. Premièrement, ayant situé la sécurité alimentaire dans une perspective de développement social durable, la Table favorise les expériences qui développent la participation et le sens de la coopération. Par exemple, il est vu comme indispensable que de plus en plus de personnes, impliquées dans l’aide alimentaire, se considèrent comme étant d’abord des citoyens et des citoyennes, et non pas seulement des consommateurs et des consommatrices plus ou moins en difficultés.

Deuxièmement, elle privilégie les expériences qui ont des effets structurants et durables pour les personnes et leur milieu. Les initiatives et les diverses innovations en cours n’ont donc pas la même valeur : l’objectif n’est pas de structurer de façon durable la dépendance et la gestion de la pauvreté, mais bien plutôt de mettre de l’avant des initiatives qui structurent l’avenir dans le sens d’une plus grande prise sur sa vie et sur son milieu.

Troisièmement, étant donné que les ressources financières deviennent de plus en plus limitées, il est important de soutenir, de façon prioritaire, les initiatives qui nécessitent des infrastructures souples.

Les culs-de-sac de l’aide

Je me dois de le dire un peu abruptement ici : le droit à l’alimentation n’est jamais résolu par l’aide alimentaire, quand nous lions le combat contre la faim à celui d’une plus grande dignité humaine.

On le sait, à Montréal, l’insécurité alimentaire touche des dizaines de milliers de personnes. Les réponses à ce drame vont trop souvent dans le sens d’une distribution gratuite d’aliments. Cela proviendrait, dit-on, d’un gros bon sens éthique qui serait de nature charitable. Mais voilà, le bât nature blesse sérieusement la culture : autant dans les pays qui reçoivent de l’aide (au Sud) qu’ici (au Nord), le don alimentaire ne contribue pas à ce qu’on s’achemine vers une solution à la faim. Au contraire, une telle pratique du don pourrait conduire au renforcement de la pauvreté et de la perte de dignité des gens.

Au Sud comme au Nord, il y a du monde et des organisations qui ont tout intérêt à ce que ça continue ainsi. N’y a-t-il pas un risque à ce que la faim des uns ne devienne parfois, de façon subtile et insidieuse, «une raison d’être et un fonds de commerce payants»?99

Traduit de façon concrète, le droit de s’alimenter devient une responsabilité de travailler à l’augmentation des capacités réelles des citoyens et des citoyennes à se nourrir eux-mêmes en toute dignité et, par conséquent, d’améliorer les conditions légales, politiques et économiques en vigueur. Il ne s’agit pas de gérer la pauvreté et la faim, mais de leur faire rendre raison, de les affronter et de les soumettre, jamais de les subir et de faire avec. C’est une lutte sans merci.

Une reconquête des sens d’une citoyenneté véritable

Par où recommencer? Par où défaire les fils de la faim et de la pauvreté? Comment assurer une véritable souveraineté alimentaire dans un contexte de mondialisation? Je ne suis ni la seule ni la première à poser ces questions. Que l’on pense au Sommet mondial de l’alimentation, tenu à Rome en 1996; au Forum des ONG sur la sécurité alimentaire, tenu au Mexique en 1996; au Colloque de l’Union des producteurs agricoles (UPA) sur le commerce international, tenu à St-Hyacinthe en 1998, etc.

Les temps ont changé. Il faut tenter de voir avec lucidité les mutations profondes de nos sociétés occidentales, en tirer des conclusions et tracer des pistes. Cela exige un effort d’imagination, car la sécurité alimentaire par le marché, ça ne marche pas; la sécurité alimentaire par l’État est en très mauvais état; et la sécurité alimentaire par l’aide «humanitaire», on l’a vu, on n’en veut plus.100

On se retrouve devant un grand vide, en défaut de marché, en défaut d’État et en défaut d’aide. Que reste-t-il? Il faut travailler à reconquérir les sens d’une citoyenneté véritable par notre engagement. Voici quelques dimensions de cette reconquête.

Un premier aspect peut se résumer ainsi : il faut accentuer les gestes qui se démarquent du courant néo-libéral et, qui plus est, comme le souligne Guy Paiement, il faut «intervenir à contre-courant [de ceux] qui cherchent à nous faire croire que nous n’avons pas d’autres choix que celui du marché de l’argent»101. Sur le plan individuel, pour chaque citoyen, cela peut vouloir dire de «retirer son consentement» et commencer à changer petit à petit son mode de vie. En d’autres mots, il s’agit bien simplement de laisser prendre les racines dans des changements profonds (par exemple : faire des choix alimentaires plus «cohérents avec nos rêves d’une autre façon d’être une société», sortir de la culture qui isole, freiner la consommation d’objets inutiles, etc.). Sur le plan collectif, cela peut signifier de joindre le communautaire pour en faire une force respectée dans les valeurs morales qu’il défend.

Pour tous ceux et celles qui ont à cœur une meilleure sécurité alimentaire, un deuxième aspect du sens d’une nouvelle citoyenneté pourrait être de ne pas se ghettoïser, de puiser «dans les immenses réserves d’humanité» de la société et de se joindre à d’autres forces vives et créatrices qui mettent de l’énergie, par exemple, à développer le droit des peuples à se nourrir eux-mêmes. Nous pensons ici, entre autres, à l’UPA et à Oxfam-Québec.

Voilà donc des amorces possibles d’une nouvelle citoyenneté pratiquée hors de la fascination des discours à la mode mondialisante qui veulent gérer la dépendance.

Chapitre VI :

Pistes et perspectives

De l’homo economicus à l’homo esperans… 

Le développement à l’occidental n’est pas seulement une aberration : c’est une impasse.

Denis Clerc

Il nous faut peut-être, comme les saumons, ne pas avoir peur de nager à contre-courant et de remonter jusqu’à nos sources pour frayer avec les forces vives de notre milieu et de donner des pieds, des mains et des paroles à l’espérance.

Guy Paiement

L’alimentation est d’abord une affaire de vision. Ça nous regarde et ça dépend aussi de qui regarde. Regardons! La pauvreté est partout et s’accroît, le manque de justice et d’humanité de même. Actuellement, nous l’avons vu, non content d’étendre la logique marchande à l’ensemble des activités sociales, l’homo economicus (l’homme économique à vision unilatérale) veut intégrer la vie elle-même de tous les citoyens, même celle de l’homo pauper (l’homme pauvre), afin que ce dernier devienne une matière première rentable et inoffensive, tout le contraire d’un citoyen.

À la lumière d’un texte d’Eric Fromm102, relu dernièrement, je dirais qu’une définition de l’être humain basée étroitement sur l’homo economicus nous laisse «terriblement» sur notre appétit. Cela souffre de myopie profonde et dangereuse, comme si le nouveau-vieux dogme totalitaire, celui de l’intégrisme économique (comme l’a si bien qualifié Albert Jacquard) était de ne revenir absolument qu’aux lois pures de la concurrence et du marché et d’oublier des dimensions profondes de l’être humain.103

En ce qui me concerne, je crois qu’il faut ajouter, à l’instar d’Eric Fromm, au moins trois autres aspects fondamentaux pour que l’on puisse parler véritablement d’un être humain. Le premier est l’homo negans – l’homme qui peut dire non, qui veut et qui peut retirer son consentement, alors que la rumeur dominante dit «oui».104 Le deuxième est l’homo esperans ­- l’homme qui espère, car espérer est une condition essentielle à l’état humain. Le troisième pourrait être l’homo liber, l’individu qui peut mettre en œuvre cette espérance, pouvant exercer ainsi sa liberté et sa responsabilité de citoyen. Selon moi, la reconquête de ces sens fait partie des sentiers permettant d’entrevoir l’«avenir humain».

La citoyenneté n’est pas donnée, elle s’acquiert

Comme la réelle liberté qui n’est jamais celle que l’on nous accorde, mais celle que l’on prend, la citoyenneté n’a pas à être donnée, et non plus le droit à la dignité. Ils s’acquièrent, au fil des jours et des gestes posés par cet être humain multidimensionnel.

Certains pourraient penser que l’expérience de l’alimentation (café, nourriture) est trop restreinte pour devenir réellement signifiante sur le plan social et politique, et pour tendre vers une citoyenneté véritable. Je pense, au contraire, que l’expérience alimentaire joue un rôle symbolique puissant et qu’elle relève d’une intimité particulière : elle passe par la bouche, et de la bouche à la tête elle traverse les imaginaires de chacun. D’aucuns pourraient penser que les actions communautaires entreprises autour de la sécurité alimentaire des familles ne visent que «les carottes moins chères pour tout le monde»; mais vite, si ces gens prennent un peu de recul, ils se rendent bien compte que ce sont la tête et le cœur de milliers de citoyens actifs qui sont touchés.

C’est possible de développer un plus grand contrôle sur l’alimentation par la force d’unité des groupes, par la force de frappe du communautaire. Et cela peut prendre plusieurs formes.

L’exigence radicale de s’interroger

Déjà, il y a émergence de toutes sortes d’expériences, témoignant d’un désir partagé pour en arriver à un modèle de développement alternatif, plus solidaire. Comme l’a souligné Guy Paiement :

Souvent ce ne sont pas les actions qui font défaut, mais leurs objectifs. Ainsi avons-nous reconnu que plusieurs actions allant dans tous les sens ne changent pas forcément les situations si ces actions demeurent isolées, morcelées, à court terme et sans grande perspective claire. De même, beaucoup d’actions […] demeurent des réactions défensives.105

Ceci ne veut pas dire qu’elles soient condamnables, mais simplement qu’il y a exigence de s’interroger sur les «interventions, sur la façon dont elles prennent en compte les diverses facettes de la réalité présente, sur leurs orientations à moyen et à long terme, et sur leur continuité cohérente».106 Je pense ici, entre autres, à ce que l’on nomme le «dépannage d’urgence et l’aide alimentaire récurrente»107, où la politique privilégiée est principalement celle de la compassion pour les citoyens et les citoyennes. Bien sûr, donner accès à de la nourriture apporte des avantages non négligeables à court terme : facilité, proximité, peu d’implication, liberté, choix, etc. Par contre, à moyen terme, cette approche-client, si elle n’est pas questionnée, risque grandement d’amplifier la dépendance de chaque individu et, par le fait même, de les éloigner inexorablement de la souveraineté alimentaire par laquelle peut s’épanouir une réelle citoyenneté politique, économique et culturelle.

«Se faire une tête commune»

une question de solidarité et de rapport de forces

L’approche préconisant un certain contrôle sur l’alimentation s’appuie sur cette conviction profonde qu’un être humain est habité par le «rêve fou de se remettre sans cesse debout»108, comme citoyen reconnu dans la Cité des hommes et des femmes.

Les expériences pures et parfaites n’existent pas, mais il y a, au Québec, de multiples pratiques éclairantes et porteuses d’espérance, notamment en ce qui concerne la sécurité alimentaire.109 Des hommes et des femmes créent des groupes d’achats, des réseaux dynamiques de cuisines collectives, se donnent de la formation et de l’information, développent des maillages avec des producteurs agricoles, etc. Allons voir de plus près ce que tout cela transporte d’acquis et d’espoirs.110

a) Les cuisines collectives : s’entraider pour faire mieux avec peu

Je place ici les multiples cuisines collectives et les expériences comme celles des «clubs de spéciaux». La politique privilégiée en est une de prise en charge par les gens à faibles revenus de leurs besoins alimentaires. Il s’agit ici, pour les personnes, d’une plus grande découverte de leur autonomie. Ces expériences requièrent un encadrement éducatif et visent généralement la promotion de meilleures habitudes alimentaires et une plus grande convivialité.

b) Groupes d’achats : la solidarité est rentable

Dans le long processus où des personnes se redécouvrent citoyennes, certaines expériences marquent une nouvelle rupture. Au lieu de se percevoir d’abord comme «clients» ou comme «pauvres» ou comme «à problèmes», des personnes se découvrent «citoyennes». C’est-à-dire : ayant un droit de cité comme tout le monde, entrant en rapport les uns avec les autres et entre groupes de la société.

À titre d’exemple, mentionnons les nouveaux groupes d’achats coopératifs, plusieurs cuisines collectives et des équipes de comptoirs communautaires. Ces expériences permettent à des personnes à revenus plus ou moins précaires de s’unir pour faire ensemble des achats collectifs et partager leur goût de changer la situation, tout en faisant de multiples découvertes sur la nourriture, les aliments, les coutumes des uns et des autres.

La politique qui est valorisée est bien celle de l’initiative économique retrouvée et l’insistance sur le fait que «la solidarité est rentable». Une telle perspective suppose cependant un apprentissage plus ou moins long de la coopération et de la prise de décision démocratique.

c) Entrer en processus d’insertion professionnelle

Certains groupes qui sont préoccupés par la sécurité alimentaire s’aventurent actuellement dans la recherche active d’emplois décents pour leurs membres. Ce changement peut surgir des expériences les plus diverses. Ainsi, une coopérative de production de plats cuisinés est-elle sortie d’une cuisine collective. D’autres ont restreint le dépannage alimentaire et se sont orientés vers la recherche ciblée d’emplois, en lien étroit avec les entreprises locales. Certaines ont même innové en orientant de leurs membres vers de nouveaux emplois liés à l’environnement, qu’il s’agisse de dépolluer une rivière, de ramasser des feuilles à l’automne, la neige en hiver ou de couper le gazon en été.

La politique visée est celle de l’insertion professionnelle qui va favoriser des revenus susceptibles de permettre l’autonomie et la sécurité alimentaire. Un tel objectif s’inscrit aussi dans une insertion sociale retrouvée. L’aide alimentaire devient donc une porte d’entrée vers une nouvelle participation sociale, qu’il s’agisse d’un emploi ou d’une responsabilité sociale redécouverte.

d) La promotion de magasins d’alimentation de qualité et de règles commerciales convenables

Quelques expériences sont en marche actuellement pour pallier à certaines déficiences du système de distribution alimentaire et de ses règles. Mentionnons d’abord l’expérience très bien réussie (en 1997-1998 et répétée en 1999) d’un mini-marché, mis sur pied dans le quartier St-Michel peu pourvu en magasins d’alimentation. Soulignons également les initiatives ponctuelles d’un groupe du Sud-ouest de Montréal qui est intervenu auprès des grandes chaînes du quartier pour leur suggérer de promouvoir leurs «spéciaux» au début du mois plutôt qu’à d’autres moments, puisque les bénéficiaires de l’aide sociale ou de l’assurance-emploi disposent alors de plus de revenus. L’Association de consommateurs de Pointe St-Charles, à l’hiver 1999, a de son côté fait beaucoup de travail en lien avec un retour à l’affichage des prix en magasin sur chaque produit.

Pour aller plus loin que ces expériences ponctuelles toute de grande qualité soient-elles, on pourrait penser à des actions encore plus concertées. On peut penser que plusieurs petites fruiteries d’un quartier pourraient s’unir pour offrir de meilleurs produits et à meilleurs coûts. Ce serait là, en quelque sorte, un «pied-de-nez» aux marchés de grande surface. Mais on en est encore loin. Comme le souligne, avec un certain humour, le titre du dernier ouvrage de Pierre Falardeau : «Les bœufs sont lents mais la terre est patiente».

Créer des partenariats solidaires

a) Imaginer la promotion de produits régionaux

Une des aberrations du système d’alimentation actuel est qu’un consommateur en région éloignée des grands centres urbains peut se voir pris dans l’étau, soit d’acheter des produits étrangers, soit des produits qui ont dû passer par Montréal avant de revenir en région. Pourtant, il y a bien des producteurs et des productrices agricoles tout près de chez lui qui les font et qui les mettent en marché.

Des citoyens et des citoyennes du Lac St-Jean ont non seulement compris l’absurdité de la situation, mais ils ont agi en créant un partenariat de solidarité avec des producteurs agricoles et des manufacturiers alimentaires. Maintenant, nous pouvons voir sur les tablettes d’épicerie locales l’étiquette Produit ici. Loin d’un chauvinisme ou d’une mesure protectionniste, cette action permet de faire revenir le commerce alimentaire à hauteur d’hommes et de femmes.

b) Nouer des liens directs et durables avec les producteurs et les productrices agricoles

Quelques groupes d’achats de la région de Montréal et, semble-t-il d’autres regroupements ailleurs au Québec, sont à organiser de bons rapports d’affaires avec certains producteurs et productrices agricoles pour du poulet, des pommes de terre, du jus de pommes frais et bientôt peut-être une panoplie de légumes. Tous les producteurs agricoles, bien évidemment, ne se sentent pas interpellés par un tel projet, mais il en existe suffisamment pour que l’expérience puisse être tentée à nouveau et être réussie, potentiellement sur une plus grande échelle. La Table de concertation sur la faim et le développement social du Montréal métropolitain est actuellement à soutenir les organismes communautaires intéressés par ce maillage pour leur permettre de faire les premiers pas dans ce sens : elle les a regroupés, leur a fait quelques propositions et, voilà, le bateau semble prêt à larguer ses amarres, dès l’automne 1999.

À Montréal, un autre organisme pratique depuis un certain temps une alliance entre des consommateurs et des petits producteurs agricoles de produits biologiques. Ils bâtissent ensemble davantage qu’un projet de type commercial. Ils deviennent interdépendants, co-partenaires. Il s’agit du projet ASC (Agriculture Soutenue par la Communauté), promu par Équiterre à Montréal. C’est un projet digne d’intérêt et, certainement, à développer.

Des jalons solidaires pour plus d’équité dans le commerce des produits agricoles

Il pourrait être intéressant que d’autres partenariats solidaires avec les producteurs et les productrices agricoles se multiplient et se consolident. À mon avis, ils représentent un jalon de rapprochements à développer entre consommateurs d’ici et producteurs québécois. Dans le processus d’établissement d’une réelle politique de sécurité alimentaire, cela n’est pas à négliger. L’autre jalon primordial est, en quelque sorte, de rapprocher les consommateurs d’ici des producteurs et des productrices agricoles d’ailleurs dans le monde. C’est une question de cohérence de pensée et de solidarité pragmatique. Cela pourrait conduire à établir des liens, par exemple, avec Oxfam-Québec, pour l’achat collectif de café équitable111, d’abord par les groupes communautaires et les institutions. Ceci contribuerait à faire en sorte que le commerce équitable ne soit plus un geste réservé aux gens qui en ont les moyens financiers, mais accessible, par la voie du communautaire, à tous les citoyens et citoyennes. Cela marquerait notre refus de consentir aux règles actuelles du commerce international et permettrait de vivre une solidarité terrienne prégnante.

Mettre en œuvre une Tribune permanente sur l’alimentation

Pour ceux et celles qui désirent véritablement travailler à l’amélioration de la citoyenneté et de la démocratie économique, il faut faire converger les actions communautaires et les alliances de solidarité. Il faut les mettre à l’œuvre ensemble pour concevoir une politique de sécurité alimentaire communautaire et pragmatique.

Précisons qu’une telle politique devrait être partie prenante des nouvelles structures régionales de développement. L’ouverture de plus en plus grande des marchés locaux aux producteurs étrangers n’enlève pas la possibilité à notre région de mieux gérer sa propre production alimentaire, d’éviter le «dumping» de certains produits et de mieux répondre aux besoins d’une population diversifiée comme celle de la grande région métropolitaine.

À moyen terme, la société en général gagnerait peut-être à ce que les voix des quartiers de Montréal et celle du communautaire soient entendues et respectées par les tenants de l’industrie alimentaire, ce qui permettrait à la démocratie économique de marquer des points.

Il va sans dire qu’une telle perspective ne pourra se réaliser que si des représentants et représentantes du communautaire tentent de travailler de «façon durable» avec des producteurs et des productrices agricoles, dirigeants de l’UPA, et éventuellement avec des représentants de l’industrie alimentaire, et même du Gouvernement. C’est ce qu’on pourrait appeler une Tribune permanente, dont l’avènement ne pourra être possible que si le communautaire tend d’abord lui-même la perche à ces partenaires potentiels. Et sans trop rêver en couleurs, pourquoi n’y aurait-il pas au début du troisième millénaire un Forum, en quelque sorte des États généraux sur la faim et la sécurité alimentaire au Québec, où nous serions tous réunis pour aborder la question à partir de différents points de vue et en arriver à l’élaboration d’une politique concertée? Pourquoi pas? Car accepter l’idée du droit des peuples et des citoyens à se nourrir eux-mêmes, c’est savoir et admettre que l’agriculture et l’alimentation sont affaire d’État et de choix de société, non pas seulement affaire de marchés.112 Tout est possible ou presque.

En terminant, je vous offre de relire ces mots inspirants d’Albert Jacquard113 :

L’humanité est aujourd’hui globalement intégrée et localement disloquée. […]. C’est la part d’humanité de chaque personne et de chaque groupe, son identité, qui disparaissent; un vide sépare les uns des autres, ceux qui devraient être les acteurs d’une action commune. […]

Est-ce qu’on ne pourrait pas, comme projet de civilisation, imaginer un monde où chacun, avec sa foi, son questionnement intérieur, essaie de construire ce monde de réseaux [et de liens]?

Bibliographie114

  1. Claude FISCHLER, L’omnivore, Paris, Éd. Odile Jacob, 1990, 431 pages.
  2. Joseph, KLATZMANN, L’alimentation mondiale – Interrogations et tentatives de réponses, l’information géographique, Paris, A. Collin, 1994, no 58.
  3. François de RAVIGNAN, La faim, pourquoi?, Paris, Syros, 1993.
  4. Nikos ALEXANDRATOS, Études prospectives mondiales de la FAO, Food for Development et Courrier de la Planète, sept.-oct. 1996.
  5. Albert JACQUARD, J’accuse l’économie triomphante, Paris, Calmann-Lévy, 1995.
  6. René DUMONT, Nous allons à la famine, Paris, Seuil, 1965.
  7. Bertrand HERVIEU, Du droit des peuples à se nourrir eux-mêmes, Paris, Flammarion, 1996.
  8. VILLE DE MONTRÉAL, J’y participe, c’est dans ma nature : le défi des déchets, 1994 (cité dans L’envert de l’assiette, Laure Waridel et collaborateurs).
  9. PUBLICATION DU QUÉBEC, Ma santé, mon environnement, 1996 (cité dans L’envert de l’assiette, Op. cit.).
  10. Laure WARIDEL et collaborateurs, L’envert de l’assiette : un enjeu alimen…terre, Éd. Des Intouchables, 1998.
  11. John ROBBINS, Diet for a new America, Still point, 1987.
  12. Claude VILLENEUVE et Suzanne LAMBERT, La biosphère dans notre assiette, Environnement Jeunesse, 1989 (cité dans L’envert de l’assiette, Op. cit.).
  13. Bio-Bulle, février-mars 1994 (cité dans L’envert de l’assiette, Op. cit.).
  14. Frances MOORE LAPPÉ, Sans viande et sans regrets – Un régime alimentaire pour une petite planète, Éd. Étincelle, 1976.
  15. Georges LAMON, Inquiets de l’insécurité alimentaire des Québécois, La Presse, 6 juin 1996, P. A 14 (cité dans L’envert de l’assiette, Op. cit.).
  16. COLLECTIF D’AUTEURS, La plus belle histoire des plantes, Paris, Seuil, Les racines de nos vies, 1999.
  17. Bandes vidéo : Être dans son assiette et Vivres, Arts et Images Productions Inc. Sherbrooke.
  18. STATISTIQUES Canada, Répartition des dépenses alimentaires en $ courants- Dépenses alimentaires des familles au Canada, 1996.
  19. Guy PAIEMENT, Intervenir à contre-courant-De nouvelles pratiques solidaires, Montréal, Fides, 1998.
  20. Hortense MICHAUD, Si les vrais coûts m’étaient contés, Essai sur l’énergivoracité, Éd. Écosociété, 1993.
  21. ACDI, Mini-dictionnaire du développement international, p. 112.
  22. Yvon PESANT, Diverses conférences et notes, Aménagement et développement régional, MAPAQ, St-Hyacinthe et Le Québec chiffres en main, BUREAU DE LA STATISTIQUE QUÉBÉCOISE, 1996.
  23. GRIP – Justice sans faim, Université de Montréal, 1994.
  24. Claude AUBERT, Onze questions clés sur l’agriculture, l’alimentation, la santé, le Tiers Monde, Terre Vivante, 1983.
  25. UPA, La place des producteurs et des productrices agricoles dans la mise en marché, Vie syndicale, Union des producteurs agricoles, 1997.
  26. Coup d’œil sur le bio-alimentaire québécois, 1998.
  27. À table, vol. 2, no 2, Montréal, Table de concertation sur la faim du Montréal métropolitain, 23 février 1998.
  28. Estimation : STATISTIQUES Canada.
  29. Gilles CORRIVEAU, Profil socio-économique du commerce de détail en alimentation, étude réalisée pour l’Association des détaillants en alimentation du Québec, Montréal, 1998.
  30. Denis CLERC (cité par F. de RAVIGNAN dans La faim, Op. cit.
  31. GREPA (Groupe de recherches et politiques agricoles), Calcul du coût de production laitier, 1997 et Faits saillants laitiers québécois.
  32. Albert JACQUARD, Construire une civilisation terrienne, Les grandes conférences-Musée de la Civilisation, Fides, 1994.
  33. ACEF, Montréal.
  34. Michel CHOSSUDOVSKY, La mondialisation de la pauvreté, Éd. Écosociété, Montréal, 1998.
  35. UPA, Les Actes du Colloque 1998 : Commerce international dans le secteur agroalimentaire.
  36. GROUPE DE LISBONNE, Limites à la compétitivité : vers un nouveau contrat mondial, Éd. du Boréal, 1995.
  37. STANDARD AND POOR’S REGISTER OF CORPORATION, Directors and Executive, 1996 (Cité par WARIDEL, Op. cit.).
  38. Dominique BOISVERT, Rompre!, Revue Relations, septembre 1997.
  39. Laure WARIDEL, Cause Café, Montréal, Éd. Les Intouchables, 1997.
  40. Association des jardiniers-maraîchers du Québec, Le Maraîchercheur, Glossaire des cultures maraîchères et répertoire des producteurs québécois, Montréal, 1998.

  • 1 Danielle STARENKYJ, Le bonheur du végétarisme, Richmond, Éd. Orion, 1977, 346 pages.
  • 2 Francois de RAVIGNAN, La faim, pourquoi?, Paris, Syros, 1973, p. 27.
  • 3 Ici, j’emploie le mot «(con)naissance» au sens latin de (cum)nascere  qui signifie littéralement : (avec) naître. Je nous convie donc à une (Re)naissance avec la terre et l’agriculture.
  • 4 L’être humain est un omnivore qui contrairement à d’autres espèces animales possède l’aptitude de pouvoir se nourrir d’une multitude d’aliments variés. Mais qui a dû, par contre, dans le cours de son histoire, faire face à l’inconnu, choisir ses aliments et les trier, prendre des risques en choisissant parfois des aliments inappropriés ou dangereux (voir : Chapitre II).
  • 5 Jamais autant de livres, revues, conférences n’ont été produits sur le sujet des aliments, de l’alimentation, de la cuisine en rapport avec la faim, la santé, les loisirs et la gastronomie.
  • 6Joseph, KLATZMANN, L’alimentation mondiale – Interrogations et tentatives de réponses, l’information géographique, Paris, A. Collin, 1994, no 58.
  • 7 François de RAVIGNAN, La faim, pourquoi?, Paris, Syros, 1993.
  • 8 Bertrand HERVIEU, Du droit des peuples à se nourrir eux-mêmes, Paris, Flammarion, 1996.
  • 9 Endémique : qui sévit constamment dans un pays, dans un milieu.
  • 10 François de RAVIGNAN, La faim, pourquoi?, Paris, Syros, 1993.
  • 11 Nikos ALEXANDRATOS, Études prospectives mondiales de la FAO, Food for Development et Courrier de la Planète, sept.-oct. 1996.
  • 12 Albert JACQUARD, J’accuse l’économie triomphante, Paris, Calmann-Lévy, 1995.
  • 13 Par l’exportation de productions excédentaires ou faites dans le but d’exporter, ces pays pensent pouvoir nourrir la population des pays déficitaires.
  • 14 Bertrand HERVIEU, Du droit des peuples à se nourrir eux-mêmes, Paris, Flammarion, 1996.
  • 15 Albert JACQUARD, J’accuse l’économie triomphante, Paris, Calmann-Lévy, 1995.
  • 16 René DUMONT, Nous allons à la famine, Paris, Seuil, 1965.
  • 17 VILLE DE MONTRÉAL, J’y participe, c’est dans ma nature : le défi des déchets, 1994 (cité dans L’envert de l’assiette, Laure Waridel et collaborateurs).
  • 18 PUBLICATION DU QUÉBEC, Ma santé, mon environnement, 1996 (cité dans L’envert de l’assiette, Op. cit.).
  • 19 Production intensive : qui nécessite notamment un emploi accru et répétitif de fertilisants chimiques et d’autres pesticides, pour une production donnée.
  • 20 Claude VILLENEUVE et Suzanne LAMBERT, La biosphère dans notre assiette, Environnement Jeunesse, 1989 (cité dans L’envert de l’assiette, Op. cit.).
  • 21 Bio-Bulle, février-mars 1994 (cité dans L’envert de l’assiette, Op. cit.).
  • 22 Frances MOORE LAPPÉ, Sans viande et sans regrets – Un régime alimentaire pour une petite planète, Éd. Étincelle, 1976.
  • 23 Frances MOORE LAPPÉ, Sans viande et sans regrets – Un régime alimentaire pour une petite planète, Éd. Étincelle, 1976.
  • 24 René DUMONT, Nous allons à la famine, Paris, Seuil, 1965.
  • 25 John ROBBINS, Diet for a new America, Still point, 1987.
  • 26 Georges LAMON, Inquiets de l’insécurité alimentaire des Québécois, La Presse, 6 juin 1996, P. A 14 (cité dans L’envert de l’assiette, Op. cit.).
  • 27 Tous ces chiffres proviennent du Congrès sur les Moissons de l’Association des banques alimentaires du Canada, tenu en juin 1999 (sources : Marie-Claude Poulin, Terre de chez nous)
  • 28 En 1998, cette nourriture provenait : 28 % des détaillants; 20 % de l’industrie agroalimentaire; 18,6 % des producteurs agricoles et 16,4 % des grossistes.
  • 29 Idem i
  • 30 Bertrand HERVIEU, Du droit des peuples à se nourrir eux-mêmes, Paris, Flammarion, 1996.
  • 31 Ex. : En Suisse : Les Jardins de Cocagne; en Ontario : Fields to table et Good Food Box, à Toronto.
  • 32 Voir : À table, printemps 1999.
  • 33 Bertrand HERVIEU, Du droit des peuples à se nourrir eux-mêmes, Paris, Flammarion, 1996.
  • 34 Dans La plus belle histoire des plantes, les auteurs disent que c’est plutôt l’inverse qui se serait passé, c’est-à-dire qu’il y a eu d’abord abondance de récoltes sauvages puis sédentarisation, puis début de l’agriculture. La plus belle histoires des plantes, Collectif d’auteurs, Paris, Seuil, 1999.
  • 35 François de RAVIGNAN, La faim, pourquoi?, Paris, Syros, 1993.
  • 36 Bandes vidéo : Être dans son assiette et Vivres, Arts et Images Productions Inc. Sherbrooke.
  • 37 STATISTIQUES Canada, Répartition des dépenses alimentaires en $ courants- Dépenses alimentaires des familles au Canada, 1996.
  • 38 Expression de l’homme d’affaires Philip Morris (1988).
  • 39 Claude FISCHLER, L’omnivore, Paris, Éd. Odile Jacob, 1990, 431 pages.
  • 40 Claude FISCHLER, L’omnivore, Paris, Éd. Odile Jacob, 1990, 431 pages.
  • 41 Laure WARIDEL et collaborateurs, L’envert de l’assiette : un enjeu alimen…terre, Éd. Des Intouchables, 1998.
  • 42 Laure WARIDEL et collaborateurs, L’envert de l’assiette : un enjeu alimen…terre, Éd. Des Intouchables, 1998.
  • 43 Albert JACQUARD, J’accuse l’économie triomphante, Paris, Calmann-Lévy, 1995.
  • 44 Albert JACQUARD, J’accuse l’économie triomphante, Paris, Calmann-Lévy, 1995.
  • 45 Albert JACQUARD, J’accuse l’économie triomphante, Paris, Calmann-Lévy, 1995.
  • 46 Claude FISCHLER, L’omnivore, Paris, Éd. Odile Jacob, 1990, 431 pages.
  • 47 L’Union européenne soutenait son agriculture avec une somme équivalente à 400 $ US par citoyen, les Etats-Unis avec 250 $ et le Canada avec moins de 200 $ par citoyen. Sur une base de superficies cultivées, les transferts gouvernementaux étaient de 825 $ par hectare en Europe, de 161 $ aux USA et de 66 $ au Canada (Source : Terre de chez nous, éditorial, 29 avril au 5 mai 1999.
  • 48 GRIP – Justice sans faim, Université de Montréal, 1994.
  • 49 ACDI, Mini-dictionnaire du développement international, p. 112.
  • 50 Mais il faut s’attarder sur cette notion de «productivité», car elle peut être toute relative. En général, on parle de quantité produite par hectare de terre, ou de quantité de lait par vaches, ou de quantité produite par une Unité-Travail-Personne (une UTP en agriculture est de plus ou moins 2 500 heures), etc. Mais Albert Jacquard, à l’instar de quelques autres qui tentent de nous le rappeler, nous indique que le calcul d’une réelle productivité devrait tenir compte de bien plus d’éléments, notamment : du coût des pollutions induites qui détruisent peu à peu l’écosystème, de celui du déplacement de populations qui, lorsqu’elles travaillaient à produire de la nourriture, avaient un toit au village et pour qui il faut construire des nouveaux abris en ville, et de divers autres coûts plus cachés.
  • 51 Bertrand HERVIEU, Du droit des peuples à se nourrir eux-mêmes, Paris, Flammarion, 1996.
  • 52 Yvon PESANT, Diverses conférences et notes, Aménagement et développement régional, MAPAQ, St-Hyacinthe et Le Québec chiffres en main, BUREAU DE LA STATISTIQUE QUÉBÉCOISE, 1996.
  • 53 GREPA (Groupe de recherches et politiques agricoles), Calcul du coût de production laitier, 1997 et Faits saillants laitiers québécois.
  • 54 Claude AUBERT, Onze questions clés sur l’agriculture, l’alimentation, la santé, le Tiers Monde, Terre Vivante, 1983.
  • 55 Denis CLERC (cité par F. de RAVIGNAN dans La faim, Op. cit.
  • 56 Phrase clé de la Fédération des syndicats de gestion agricole du Québec, affiliée à l’UPA, lors de sa fondation au début des années 80.
  • 57 Coup d’œil sur le bio-alimentaire québécois, 1998.
  • 58 Yvon PESANT, Diverses conférences et notes, Aménagement et développement régional, MAPAQ, St-Hyacinthe et Le Québec chiffres en main, BUREAU DE LA STATISTIQUE QUÉBÉCOISE, 1996.
  • 59 Guy PAIEMENT, Intervenir à contre-courant-De nouvelles pratiques solidaires, Montréal, Fides, 1998.
  • 60 UPA, La place des producteurs et des productrices agricoles dans la mise en marché, Vie syndicale, Union des producteurs agricoles, 1997.
  • 61 UPA, La place des producteurs et des productrices agricoles dans la mise en marché, Vie syndicale, Union des producteurs agricoles, 1997.
  • 62 À Montréal, le panier d’épicerie coûte en moyenne 14 % du revenu moyen d’un travailleur. Il nécessite 2,25 heures de travail au lieu de 5,5 à Paris.25
  • 63 La balance commerciale est le rapport de la valeur des exportations sur celle des importations.
  • 64 Voir : Chapitre IV.
  • 65 UPA, La place des producteurs et des productrices agricoles dans la mise en marché, Vie syndicale, Union des producteurs agricoles, 1997.
  • 66 UPA, La place des producteurs et de productrices agricoles dans la mise en marché, Vie syndicale, Union des producteurs agricoles, 1997.
  • 67 Yvon PESANT, Diverses conférences et notes, Aménagement et développement régional, MAPAQ, St-Hyacinthe et Le Québec chiffres en main, BUREAU DE LA STATISTIQUE QUÉBÉCOISE, 1996.
  • 68 Un exemple de valeur ajoutée : le lait cru, fraîchement extrait de la vache, est un produit brut. On lui ajoute une valeur supplémentaire en le transportant à l’usine, en le pasteurisant et en l’homogénéisant.  Il a une encore plus grande valeur ajoutée si on le transporte à nouveau vers une autre usine, qu’on lui ajoute des bactéries lactiques et qu’on en fait du yougourt, qui aura à son tour une encore plus grande valeur ajoutée si on l’utilise pour en faire un dessert congelé plus élaboré. Si toutes ces étapes sont faites dans un même pays, vous comprendrez que la valeur ajoutée au lait aura créé beaucoup d’emplois, tant au niveau de l’usine de transformation, que des transporteurs, que des fabricants de contenants de plastique, etc.
  • 69 Gilles CORRIVEAU, Profil socio-économique du commerce de détail en alimentation, étude réalisée pour l’Association des détaillants en alimentation du Québec, Montréal, 1998.
  • 70 Gilles CORRIVEAU, Profil socio-économique du commerce de détail en alimentation, étude réalisée pour l’Association des détaillants en alimentation du Québec, Montréal, 1998.
  • 71 Ce qui a pu changer ce paysage, c’est l’arrivée de Loblaw’s d’Ontario qui, à l’automne 1998, a acheté Provigo.
  • 72 Voir : Chapitre VI.
  • 73 Déjà en 1968, un document s’intitulant Halte à la croissance avait présenté quelques-uns des écueils d’un développement débridé. Depuis, plusieurs auteurs ont pris position en faveur d’un ralentissement marqué de la «croissance économique», et mettent en garde contre les excès actuels et potentiels de la mondialisation des échanges. Notamment, sont bien connus au Québec : Michel Chossudovsky34, Albert Jacquard5-32, le Groupe de Lisbonne36 dont Ricardo Petrella fait partie.
  • 74 GATT : Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce.
  • 75 Ces mesures avaient été jusqu’alors permises pour limiter la concurrence internationale, jugée néfaste au maintien d’une agriculture en santé, santé considérée comme essentielle et névralgique par une majorité de pays.
  • 76 Albert JACQUARD, Construire une civilisation terrienne, Les grandes conférences-Musée de la Civilisation, Fides, 1994.
  • 77 Sur ces points, vous pouvez consulter le livre de Gilbert Ritz, intitulé : Le développement, histoire d’une croyance occidentale, 1998.
  • 78 Albert JACQUARD, J’accuse l’économie triomphante, Paris, Calmann-Lévy, 1995.
  • 79 Citation tirée de : S. George et F. Sabelli, Crédits sans frontières – La religion séculière de la Banque Mondiale, Paris, La découverte, 1994.
  • 80 Bertrand HERVIEU, Du droit des peuples à se nourrir eux-mêmes, Paris, Flammarion, 1996.
  • 81 ACEF, Montréal.
  • 82 Michel CHOSSUDOVSKY, La mondialisation de la pauvreté, Éd. Écosociété, Montréal, 1998.
  • 83 Michel CHOSSUDOVSKY, La mondialisation de la pauvreté, Éd. Écosociété, Montréal, 1998.
  • 84 Michel CHOSSUDOVSKY, La mondialisation de la pauvreté, Éd. Écosociété, Montréal, 1998.
  • 85 À ce sujet, vous pouvez visionner la vidéo «Turbulences», produite par l’ONF.
  • 86 UPA, Les Actes du Colloque 1998 : Commerce international dans le secteur agroalimentaire.
  • 87 TANDARD AND POOR’S REGISTER OF CORPORATION, Directors and Executive, 1996 (Cité par WARIDEL, Op. cit.).
  • 88 STANDARD AND POOR’S REGISTER OF CORPORATION, Directors and Executive, 1996 (Cité par WARIDEL, Op. cit.).
  • 89 UPA, La place des producteurs et des productrices agricoles dans la mise en marché, Vie syndicale, Union des producteurs agricoles, 1997.
  • 90 Michel CHOSSUDOVSKY, La mondialisation de la pauvreté, Éd. Écosociété, Montréal, 1998.
  • 91 Bertrand HERVIEU, Du droit des peuples à se nourrir eux-mêmes, Paris, Flammarion, 1996.
  • 92 Bertrand HERVIEU, Du droit des peuples à se nourrir eux-mêmes, Paris, Flammarion, 1996.
  • 93 Laure WARIDEL et collaborateurs, L’envert de l’assiette : un enjeu alimen…terre, Éd. Des Intouchables, 1998.
  • 94 À table, vol. 2, no 2, Montréal, Table de concertation sur la faim du Montréal métropolitain, 23 février 1998.
  • 95 Bertrand HERVIEU, Du droit des peuples à se nourrir eux-mêmes, Paris, Flammarion, 1996.
  • 96 Propos inspirés de Sajsa KAMIL, «Pauvres parmi les pauvres – Une société à recomposer», La sécurité alimentaire à long terme, Montpellier, Courrier de la Planète et Food of development, 1996, p. 62.
  • 97 Propos inspirés de Bertrand Hervieu, Le droit des peuples à se nourrir eux-mêmes, p. 32.
  • 98 Propos inspirés de «Pistes pour une politique de sécurité alimentaire», À table, vol. 2, no 2, Montréal, Table de concertation sur la faim du Montréal métropolitain, 23 février 1998, p. 5-8.
  • 99 Propos inspirés de Pierre-Jean ROCA, «Alimentation – La charité ou le droit», Montpellier, Courrier de la Planète, novembre-décembre 1998.
  • 100 Propos inspirés de François LERIN, «Sécurité alimentaire – Qui peut quoi?», Courrier de la Planète, octobre 1996., p. 60-61.
  • 101 Guy PAIEMENT, «Les journées sociales 1997 : intervenir à contre-courant», De nouvelles pratiques solidaires (collectif), Montréal, Fides, octobre 1998, p. 17.
  • 102 Propos inspirés d’Eric FROMM, «Que signifie être homme?», Espoir et révolution, Paris, Select, 1982.
  • 103 Propos inspirés de Jean-Marc FERRY, L’allocation universelle, Paris, Du Cerf, 1995, p. 16.
  • 104 Propos inspirés d’un dossier de Dominique Boisvert, Rompre!, Revue Relations, septembre 1997. «Devant l’économisme triomphant, qu’arriverait-il si nous retirions notre consentement?»
  • 105 Guy PAIEMENT, De nouvelles pratiques sociales, Op. cit., p. 18.
  • 106 À table, Op. cit., p. 5-6.
  • 107 Guy PAIEMENT, Op. cit., p. 20.
  • 108 Sur cette question, voir : À table et Ensemble pour mieu manger (voir bibliographie).
  • 109 Sur cette question, voir : À table et Ensemble pour mieux manger (voir bibliographie).
  • 110 Les expériences décrites ici sont tirées principalement de : À table, Op. cit., p. 5-8.
  • 111 Le café équitable est issu d’un commerce Nord-Sud dont les règles sont établies de telle sorte qu’elles tendent à respecter les producteurs et les productrices agricoles du Sud. Sur ce sujet, vous prendrez plaisir à lire le livre Cause-Café de Laure Waridel, aux Éditions Intouchables, 1997.
  • 112 Propos inspirés de Bertrand HERVIEU, Du droit des peuples […], Op. cit.
  • 113 Albert JACQUARD, Construire une civilisation terrienne, Les grandes conférences-Musée de la Civilisation, Fides, 1994.
  • 114 Les œuvres citées dans cette liste bibliographiques n’apparaissent pas toujours selon leur ordre d’arrivée dans le texte.

 

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