Comme tout le monde et à sa faim, Benoit Lord, Adjoint à la direction du Carrefour D’Entraide Lachine
Dans nos pratiques d’intervenant en sécurité alimentaire, on entend souvent : « C’est difficile », les temps sont durs, mon loyer augmente, j’ai eu une bad luck, j’ai pas assez de cash, et surtout « j’en ai pas assez pour vivre ». Sécurité du revenu, travailleurs à faible revenu, soutiens de familles monoparentales… de tous les horizons, la faim les tenaille. Ces citoyennes et ces citoyens vivent, au jour le jour, l’insécurité alimentaire. Pour ajuster notre discours à l’air du temps, on pourrait même dire qu’ils vivent de « l’anxiété alimentaire ».
Du bout des lèvres, d’un air dépité, rougis par la honte et l’impression de quêter, ce nouveau membre de notre organisme, Le Carrefour d’entraide Lachine, nous demande un panier d’aliments pour sa survie ou pour celle de sa famille.
Ce qu’on lui offre; un panier d’aliments, mais désormais percé… Percé oui, par manque de ressource de notre part. En effet, les dons alimentaires que nous recevons de Moisson Montréal ne suffisent pas à répondre à la demande exponentielle. Ce geste de compassion que nous lui offrons à l’occasion n’a rien de très rassurant. Ça rassure, oui, mais pour quelques jours seulement . Dans les faits, c’est un plaster sur une plaie béante qui n’en finit plus de saigner. On aimerait que notre aide soit mieux adaptée, plus efficace, plus « fruité et avec de la viande autour » et surtout plus pérenne, comme ils le disent au ministère.
Ici, on travaille en respectant le monde appauvris. On est là pour les soutenir, les accompagner, les écouter. Mais le problème de la faim nous dépasse et dépasse tous nos collègues et nos partenaires de la sécurité alimentaire. Il n’y a pas de chèque qui peut mettre un baume sur leurs plaies. Quand, en campagne électorale, aucun parti ne prononce les mots tabous, pauvreté, faim… on sent que le problème de la faim et de l’insécurité alimentaire passe sous les radars. Ces mots, qui les amèneraient sur le terrain miné de « l’engagement », sont évacués de leurs discours … et de leur action politique. On dirait que plus personne ne rend des comptes aux citoyens appauvris. Aucun parti, et encore moins le gouvernement sortant, ne déroge du politiquement acceptable. Le pauvre est disparu du vocabulaire, la pauvreté est devenue invisible…On la préfère cachée. Alors, on l’ignore ou on émet des chèques plasters, faute de solutions à long terme. Certains d’entre nous essaient de se faire entendre : « Qu’attendez-vous pour freiner la hausse vertigineuse des prix des aliments de base ? »
IL n’y a pas que le lait qui ne doit pas et ne peut pas subir les foudres des « profiteurs », car il est règlementé, surveillé par l’État. Selon nous, il faut aussi règlementer des catégories d’aliments comme les œufs, les céréales, la volaille et certains légumes, pour en favoriser l’accès au 40% de notre population, appauvrie et démunie. Ces familles de la classe moyenne salariées, mais qui n’arrive plus. Ces familles qui empruntent pour payer le panier d’épicerie. Ces familles sur l’aide sociale qui se prive pour nourrir leurs enfants. Mettons un frein à l’augmentation scandaleuse actuelle de plus de 10% du panier d’épicerie. Mieux encore, on demande à l’État de mettre des règles pour encadrer les prix de certains aliments, surtout ceux qu’il subventionne largement (ex. le porc et les tomates en serres)
Est-ce trop demander à nos politiques qu’ils s’engagent à trouver des solutions réelles et à long terme à la crise de l’insécurité alimentaire?
Nous demandons simplement que le vrai monde, fragilisées par la crise alimentaire, puissent, un jour et selon leur rêve, « manger à sa faim et comme tout le monde »
Benoit Lord, Adjoint à la direction du Carrefour D’Entraide Lachine
Retrouvez également l’article sur le bouclier tarifaire dans L’Aut’Journal du 28 septembre 2022 : “Un bouclier tarifaire pour manger à sa faim, enfin“