Dessin participation citoyenne et développement social

Allocution faite le 25 avril 2002 au CLD Roussillon par Jean-Paul Faniel : Le développement social au Centre Local de Développement Roussillon

Mesdames, Messieurs, Bonjour,

Présentation

Je me présente : Jean-Paul Faniel. Je suis coordonnateur de la Table de concertation sur la faim et le développement social du Montréal métropolitain, un regroupement de plus de 75 organismes et coalitions d’organismes, dont la Rencontre Châteauguoise et Sourire sans faim, qui œuvrent dans la grande région de Montréal, sur le front le plus dramatique de la pauvreté : celui de la faim.

Le travail que nous faisons nous amène à côtoyer une misère humaine inacceptable dans une société aussi riche que la nôtre. Nous sommes ainsi les témoins indignés, mais récalcitrants, de milliers de personnes qui, avec leurs maigres 522.42$ par mois de la Sécurité du Revenu et après avoir payé les dépenses incompressibles de loyer, de chauffage, d’électricité et de vêtements, n’ont plus que 50.$ par mois pour se nourrir, quand ce n’est pas moins, suite aux coupures. En pareille situation, la faim devient une réalité quotidienne. On calcule les tranches de pain que l’on mange. On ne choisit plus notre menu. On mange ce qu’on peut et non ce qu’on veut.

Dans cette lutte contre la faim, nous avons été confrontés à la Table, dès le départ, à la question de l’approche à privilégier. Depuis longtemps, on était habitué à l’approche par besoins essentiels, celle traditionnelle des organismes de bienfaisance qui consistait à donner de la nourriture à ceux qui n’arrivent pas à boucler les fins de mois avec leur maigre revenu.

La Table est née justement de la prise de conscience par les organismes dispensateurs de ces services des limites de cette approche. Le constat était que l’on soulageait ainsi la misère, ce qui n’est pas rien, mais qu’en se faisant, on gérait la pauvreté, plutôt que la combattre réellement. Il fallait chercher des solutions plus durables à la faim.

Les groupes aux prises avec cette réalité se sont donc donnés une Table de concertation, la nôtre, autour de cet objectif et ont cherché du côté des expériences alternatives que quelques uns d’entre eux développaient. La formule des cuisines collectives fut la première à se démarquer. Des femmes appauvries se mettaient régulièrement ensemble pour acheter leurs aliments à meilleurs prix et cuisiner ensemble plusieurs plats pour leur famille. La Table a reçu le mandat de ses membres d’appuyer cette formule et en a fait la promotion avec le succès que l’on connaît. Par la suite, ce fut le tour des Magasins Partage, puis celui des Groupes d’achats. En plus du soutien que nous continuons à donner à ces formules, nous en sommes maintenant à travailler au développement d’autres réseaux d’entraide.

Très tôt, le dénominateur commun de ces approches est apparu évident. Plutôt que de partir des seuls problèmes des gens appauvries, ces formules s’adressaient à leurs potentiels, à leurs ressources et à leurs aspirations. Contrairement à l’approche par besoins essentiels qui considérait les personnes appauvries comme des démunies à qui des spécialistes devaient offrir des services de subsistance, l’approche adoptée tablait sur leurs expertises de vie et leur sens de la débrouillardise pour leur proposer de mettre l’épaule à la roue dans des projets concrets qui leur appartenaient.

On a vu ainsi des gens puiser à même leur dignité pourtant bafouée l’énergie nécessaire pour travailler ensemble à se redonner dans ce carcan social un pouvoir collectif pour reprendre du contrôle sur leur alimentation, améliorer concrètement leur qualité de vie et se construire un réseau d’entraide qui brise leur isolement et les renforcit pour faire face aux multiples défis qu’ils vivent au quotidien.

Ces gens ne sortaient pas pour autant de la pauvreté, mais ils sortaient de la misère. Ce faisant, ils redevenaient les acteurs de leur vie plutôt que les victimes et retissaient leur tissus social éclaté. En un mot, ils redevenaient des citoyens travaillant à leur propre développement et à celui de leur milieu. Un peu comme M. Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, eux faisaient du développement social sans le nommer.

Situons le débat

Quand on m’a demandé de venir vous parler de développement social et de l’importance de la concertation pour ce faire et quand on a ajouté que mon propos se situerait dans un contexte de divergences/convergences entre l’action communautaire autonome et l’économie sociale, je me suis dit qu’on pourrait peut-être aborder les choses autrement.

Me référant aux expériences énoncées et à la longue réflexion qui les accompagnait, il m’est apparu évident que l’approche de l’économie sociale, celle de l’action communautaire, la concertation entre organismes, tout ça, c’est de l’ordre des moyens à développer pour atteindre un but. Quand on veut travailler à plusieurs au développement social et économique d’un milieu, l’important, c’est de se donner une vision commune du but que nous voulons atteindre. Par la suite, nous pourrons toujours discuter des moyens pour y arriver, que ce soit des ressources à s’adjoindre, des interventions les plus efficaces ou des types de concertation à mettre en place.

Sans vouloir minimiser les divergences bien réelles entre les mécanismes de l’économie sociale et ceux de l’action communautaire, il me semble que le clivage de part et d’autre se situe plutôt entre l’approche qui dispense uniquement des services à des clients et celle qui travaille avec des citoyens à leur développement et à celle de leur milieu.

Autant dans les expériences d’économie sociale que dans celle de l’action communautaire, on retrouve ces deux approches. L’une vise à assurer le minimum vital. L’autre vise le développement des potentiels individuels et collectifs de chacun. Or, le développement social exige de faire un choix. Voulons-nous continuer à uniquement dispenser des services à des clients que nous déresponsabilisons peu à peu ou désirons-nous travailler avec nos concitoyens à leur propre développement et à celui de leur milieu ?

Là est toute la question.

Conditions à mettre en place

Le choix du développement social ne se fera cependant pas sans effort de notre part. Il nous faudra oser. Oser dépasser notre vision sectorielle des problématiques pour adopter  une approche globale et une analyse structurelle des problèmes de société, dont la pauvreté, approche et analyse qui prennent en compte les interrelations et l’interdépendance entre les différentes facettes du développement des personnes et de leur milieu.

Conséquemment, il nous faudra donc oser envisager les solutions d’un point de vue résolument intersectoriel. Cette approche se construisant autour de milieux locaux et régionaux, il nous faudra remettre en cause, ou du moins en veilleuse, la seule mission de notre organisme et la stricte approche par programmes sectoriels ou par clientèles cibles dont nous ont habituée les programmes gouvernementaux, pour une articulation locale et régionale de chacun de nos secteurs en interrelation les uns avec les autres. Ce n’est pas parce qu’on travaille très bien dans sa cuisine collective qu’on peut prétendre avoir trouvé la solution à tous les problèmes de pauvreté des gens impliqués.

Pour ce faire, il nous faudra en premier lieu oser se faire une tête commune entre intervenants d’un même milieu sur le développement social et économique que nous voulons pour ce milieu, vérifier la convergence de nos interventions respectives et les modifier si nécessaire pour créer une synergie capable de réellement changer des choses. À terme, l’exercice devrait aboutir à développer un réseau intersectoriel d’organismes harmonisant leurs interventions respectives en fonction d’objectifs communs. Ce réseau d’organismes constituera également autant de passerelles que pourront emprunter les citoyens en cheminement.

Une telle expérience est actuellement en cours dans le quartier Ahuntsic. Visant le développement social et économique d’une première poche de pauvreté ciblée en vue d’y faire reculer la pauvreté dans un échéancier précis, ils nous ont demandé de les soutenir dans un processus de formation préalable impliquant des citoyens du milieu et les intervenants de diverses institutions et organismes communautaires œuvrant sur ce territoire.

Corollaire de cette approche structurelle, il nous faudra aussi oser adopter une approche visant des changements structurants. Par structurant, j’entends des actions qui ne se contenteront pas de modifications de fonctionnements des services offerts, mais des actions dont les effets modifieront des mentalités, des habitudes et des pratiques, à commencer par les nôtres, des actions qui détermineront dorénavant l’agencement des différentes composantes sociales et la répartition des rôles tels que nous les connaissons.

Mais, pour y arriver, il nous faudra avant tout oser changer de regard sur les personnes que nous desservons. Il nous faudra envisager la solution aux problèmes d’un individu à partir de la mise en valeur de ses propres ressources individuelles et de sa participation active à l’identification des solutions à ses problèmes et au redressement de sa situation. Pour cela, il nous faudra oser regarder nos clients-usagers par la lorgnette de leurs capacités, de leurs compétences et de leurs habiletés, plutôt que par celle, unique, de leurs problèmes. En clair, il nous faudra oser passer du client au citoyen.

Cette valorisation de chaque citoyen autour de son potentiel nous obligera enfin à oser penser le développement d’un milieu non plus seulement à partir de nos seules ressources d’intervenants communautaires ou institutionnels, mais à partir de réseaux de citoyens que nous soutiendrons dans leurs efforts à se reprendre en main et à reprendre en main le développement de leur milieu. Concrètement, il nous faudra oser penser autrement nos interventions en mettant les citoyens concernés au cœur de nos stratégies de développement et en les impliquant à chacune des étapes de l’action afin qu’à terme, ils soient en mesure d’assumer collectivement leur propre développement et celui de leur milieu.

Plus spécifiquement pour les intervenants institutionnels, il leur faudra oser être délinquants quant aux cadres préétablis, car la nécessaire créativité inscrite dans le développement social dépassera toujours par définition ce qui prévu par tel ou tel programme ou telle ou telle mission. Dans une formation que nous donnions aux 21 directeurs des CLE de Montréal, nous leur avions suggéré à cet effet de prévoir, dans leurs habitudes à tout rentrer dans des cases, quelques cases vides pour faire une place à la réalité toujours imprévisible, mais oh combien enrichissante.

À titre d’exemple, je vous soumets le cas d’une agente de développement d’un CLD à Lachine qui avait osé nous soutenir dans l’élaboration un peu poussée d’un projet d’économie sociale visant le développement d’un réseau d’entraide et d’économie citoyen. Il s’agissait d’un groupe de personnes à faible revenu qui se regroupaient pour sortir de leur dépendance au dépannage alimentaire et redevenir des acteurs économiques en achetant en commun, au prix du gros, leur panier d’épicerie. Les retombées sociales de cette reprise en main collective et individuelle étaient telles que nous prétendions, dans le projet déposé, que nous nous inscrivions dans un projet d’économie sociale, en ce sens que la société économisait ainsi beaucoup plus que l’investissement demandé. Il y avait là une extension du concept d’économie sociale, j’en conviens, mais qui avait le mérite d’exposer des faits sociaux réels et de les confronter aux limites d’un programme en vue de chercher à les dépasser.

Vous l’aurez compris, ce à quoi nous sommes ici conviés, c’est à oser. Oser se parler pour mieux se connaître. Oser s’explorer mutuellement entre acteurs de l’économie sociale et de l’action communautaire pour identifier nos possibilités que nous investirons et nos limites que nous chercherons à dépasser. Oser rêver ensemble également . Et oser croire assez à nos utopies devenues collectives pour travailler ensemble à les réaliser.

Chacune des pistes avancées apportera son lot d’inconnu et de questions. C’est en cherchant à leur répondre que nous commencerons à donner forme au changement souhaité et à identifier des pistes concrètes de développement.

Le but : revenir à une société qui se fonde sur ses citoyens, leur fait confiance et trouve sa force et sa richesse collective dans la participation et les talents de tous et de toutes.

Je vous remercie de votre attention et je nous souhaite de très bons échanges.

Jean-Paul Faniel

Retrouvez l’allocution en PDF ici