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La hausse vertigineuse des prix des aliments, ça ne peut plus durer comme ça

Pour un budget décent

La fermeture des frontières durant la pandémie et l’actuelle guerre entre l’Ukraine et la Russie (30% à eux deux de l’exportation mondiale des céréales) nous fait prendre conscience de la nécessité d’assurer nous-même la sécurité alimentaire de notre population. C’est d’ailleurs un devoir de l’État, dont la mission première est d’être le garant du bien commun. Le gouvernement Legault l’a admis, mais son intervention s’est limitée à octroyer un chèque électoral de 500.$ à tous les citoyens gagnant moins de 100,000.$ par année. Mais que vaut un tel chèque étalé sur les deux prochaines années pour diminuer la facture d’épicerie qui, elle, ne cessera pas de grimper.

Les plus pauvres d’entre nous (20%) connaissent depuis longtemps cette insécurité alimentaire, mais une partie de plus en plus importante de la population commence à y être confrontée face une augmentation de 40% l’an dernier et de 30% cette année des prix des aliments, selon les évaluations régulières faites en épicerie. De fait, plusieurs organismes communautaires que je côtoie font état d’une augmentation de 50% de la demande de soutien alimentaire : ce ne sont plus seulement les personnes sur l’aide sociale qui les sollicitent, mais des petits salariés qui n’arrivent plus à nourrir leur famille.

À l’échelle mondiale, avec l’augmentation actuelle des prix du carburant et les changements climatiques qui mettent à risque les récoltes, on entrevoit la possibilité de vivre une des pires crises alimentaires depuis longtemps. Cette inflation des prix des aliments chez nous n’est donc pas près de ralentir, aux dires des experts avec une augmentation majeure des prix pour les 2 prochaines années si nous laissons le marché continuer à déterminer seul la marche à suivre en alimentation. Ce marché privé répond d’abord aux intérêts de ses actionnaires; c’est normal, la réduction des prix n’est pas dans son ADN.

L’État et les aliments de base

Ça ne peut plus durer comme ça. On ne peut plus regarder les choses se détériorer ainsi sans cibler la principale instance ayant les moyens de faire changer les choses, l’État. Comme il le fait déjà en matière de régulation des tarifs d’électricité, des augmentations de loyer, d’élévation du salaire minimum et, tout dernièrement, des tarifs de voyage en avion dans l’Est du Québec, l’État doit intervenir pour établir des règles sur les prix de certains aliments de base pour permettre à tous de s’alimenter à même nos productions et aux producteurs impliqués de jouir d’un revenu décent.

On parle ici d’un panier alimentaire de quelques aliments que nous produisons au Québec comme les légumes racine, certains produits agricoles sous la gestion de l’offre (Produits laitiers, les volailles et les œufs) et d’autres à déterminer avec les producteurs concernés, notamment ceux recevant une aide financière de l’État comme les producteurs maraichers en serre. Ce serait d’ailleurs la meilleure façon de favoriser l’achat chez nous en rendant ces produits encore plus accessibles, tout en redynamisant l’économie.

Ce n’est pas nouveau

Cette demande d’intervention de l’État pour réguler les prix de certains aliments n’est d’ailleurs pas une nouveauté au Québec. En effet, la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, alimentaires et de la pêche (L.R.Q., c. M-35.1) confère déjà à la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec le pouvoir de fixer par règlement le prix de tout produit laitier au Québec.

De plus, un sondage Environnics commandé par la Fondation des maladies du cœur (décembre 2008) révélait que la très large majorité des canadiens (86%) appelait alors le gouvernement à règlementer le prix des aliments à la base d’un régime alimentaire équilibré. (Le Devoir, Fabien Deglise, 10/02/2009). Ce sondage confirmait que 42% des ménages renonçaient à certains aliments de base en raison de leur prix. On imagine le pourcentage actuel face à l’augmentation effarante des prix des denrées. Plusieurs pays y ont d’ailleurs déjà eu recours historiquement en situation exceptionnelle, comme la France, l’Allemagne et les États-Unis.

Manger à sa faim, un droit

En fait, l’enjeu ici est de reconnaitre que manger suffisamment est une fonction essentielle à la vie et que l’État doit agir pour en assurer la prévalence, comme il le fait pour d’autres besoins essentiels dans un pays nordique comme le nôtre, comme l’électricité et le logement.

Cette proposition de régulation des prix ne concerne donc pas les quelques 40 000 produits offerts en magasin, mais seulement quelques produits de base à déterminer avec les acteurs sociaux concernés. C’est une solution assurant l’accessibilité alimentaire de toute la population et la sécurité alimentaire des plus pauvres d’entre nous qui peinent à joindre les deux bouts.

Cette solution mérite d’être explorée et discutée sérieusement dans un débat de société qui tiendrait compte des intérêts de la grande majorité, et non des seuls intérêts de quelques-uns.

 

Jean-Paul Faniel, Directeur de la Table sur la faim du Montréal métropolitain

 

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