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Dessin - Concertation en sécurité alimentaire
Réunion d’un réseau d’entraide et d’économie

 

Conférence donnée à Joliette le 25 avril 2006 par Jean-Paul Faniel, président de Nourrir Montréal, un conseil pour une alimentation de qualité pour tous : Se concerter en sécurité alimentaire

Introduction

Mesdames et Messieurs, Bonjour,

Vous êtes réunis aujourd’hui pour poser les bases d’une instance de concertation en sécurité alimentaire pour la région de Lanaudière et on m’a invité pour vous faire part de notre expérience en la matière à Montréal. Mais avant de vous parler de notre concertation, il serait utile de la situer dans son contexte historique, celui des interventions en sécurité alimentaire. Pour vous le présenter, laissez-moi vous raconter une petite histoire éloquente.

Les trois tailleurs de pierre

Et nos pratiques d’intervention en sécurité alimentaire

Un conte du Moyen-Âge nous parle d’un étranger qui interroge trois tailleurs de pierre: « Que faites-vous là mes amis? » demande le visiteur. Le premier lui répond: « Vous le voyez bien, je taille de la pierre! » S’adressant au second, il se fait répondre : « Vous le voyez bien, je gagne la vie de ma famille! » Avant de répondre, le troisième regarde longuement le visiteur et ce dernier note une flamme dans son regard : « Vous le voyez bien, dit-il en pointant le mur de pierre qui s’élevait derrière lui, je construis une cathédrale ! » Évidemment, vous l’avez compris, chacun avait raison, mais le troisième voyait plus loin.

a) L’aide alimentaire

Il en est ainsi des pratiques de sécurité alimentaire à Montréal. On peut, en effet, parler de trois générations de pratiques depuis les années 80. La première génération formée essentiellement d’organismes communautaires qui ont tenté de répondre à ce problème, date de la crise économique des années 80. Les groupes communautaires impliqués se concentrèrent alors sur l’aide alimentaire à fournir à des gens frappés par les changements structurels en cours. Il fallait aider les gens à passer au travers de la crise. On mit donc sur pied tout un réseau de comptoirs alimentaires fournis eux-mêmes par des banques alimentaires qui, elles, s’approvisionnaient à partir des invendus de plusieurs fournisseurs à travers tout le Québec.

b) L’entraide alimentaire

La deuxième génération d’organismes prit conscience dans les années 90 de l’importance, pour solutionner le problème, de tenir compte du contexte personnel et familial des personnes aidées et se mit ainsi à parler d’exclusion sociale, d’endettement et de marginalisation sociale. La solution adoptée fut le développement de formes d’entraide alimentaire susceptibles de combattre l’exclusion et de recréer des réseaux de solidarité entre citoyens. On vit naître ainsi des cuisines collectives, des groupes d’achats coopératifs, des Magasins Partage, des jardins collectifs et d’autres réseaux d’entraide comme des réseaux d’échanges de service, des réseaux de parents dans les écoles, etc.

Dans cette foulée, plusieurs comptoirs alimentaires de la première génération cherchèrent également à développer l’entraide entre les usagers de leurs services. Du côté des services publics, la Direction de la santé publique et la Ville de Montréal mirent alors sur pied respectivement un secteur de sécurité alimentaire et un autre de développement social qui commencèrent à soutenir ces alternatives au dépannage alimentaire.

c) Le développement social

Une troisième génération d’organismes est en cours depuis le début du siècle. Elle voit mieux que la sécurité alimentaire des personnes s’inscrit dans un contexte plus large et dépend de décisions économiques, politiques et sociales de différents groupes sociaux : agriculteurs, transformateurs alimentaires, grossistes, chaînes d’alimentation, gouvernements, municipalités, commissions scolaires et groupes communautaires. Cette génération d’organismes considère également que la sécurité alimentaire dépend aussi d’autres facteurs déterminants comme le coût des logements, le revenu des personnes, leur endettement, leur capacité à se trouver un emploi, leur niveau d’instruction, leur parcours de vie, autant d’éléments qu’il faut prendre en compte pour s’attaquer au problème de la faim.

Cette troisième génération d’intervenants affirme alors la nécessité d’inscrire la question de la sécurité alimentaire dans une perspective de développement social, soit le développement des personnes et celui de leur milieu. Il en découle également la nécessité de travailler à donner des mains au droit, non pas le droit d’être alimenté, mais plutôt celui « d’avoir les moyens de se nourrir et de nourrir sa famille », comme le proclame la Chartre universelle des droits de l’Homme.

Il est ici important de souligner que chaque génération d’organismes comporte ses insistances, sa logique propre et sa légitimité. Mais la troisième génération est plus inclusive et permet aux deux autres de tenir compte de toute la complexité de la réalité des personnes et de leur milieu. Si on veut trouver des solutions durables au problème de la faim, la troisième approche nous indique qu’il faut dépasser le soulagement de la misère pour viser réellement le développement des personnes et de leur milieu dans une perspective de maîtrise collective de notre alimentation. À ce stade, on le voit, la lutte contre la faim s’élargit pour embrasser le champ plus vaste de la quantité, de la qualité et de l’organisation collective de notre alimentation. Et les citoyens concernés ne sont plus uniquement les plus pauvres d’entre nous, mais la population dans son ensemble.

Dépasser les limites de chacun

Et tabler sur la synergie des potentiels de tous

L’approche de cette troisième génération nous apprend également que, pour s’attaquer à un chantier aussi vaste, il faut travailler de concert avec d’autres acteurs sociaux qui visent eux aussi le développement social et harmoniser nos interventions respectives pour s’assurer que chacun puisse mettre l’épaule à la roue pour pousser dans le même sens. En fait, il s’agit de dépasser les limites de chacun et tabler sur la synergie des potentiels de tous.

Ces autres acteurs invités aborderont évidemment la question de l’alimentation selon un angle qui leur est propre et qui correspond à leur mission et à leurs intérêts. Ainsi, convenons qu’en la matière, la santé de la population est au cœur de cette démarche de sécurité alimentaire, si on considère les conséquences dévastatrices de la malbouffe, l’aspect nuisible de certains aliments transformés et les inégalités sociales répercutées sur l’alimentation. On retrouve là les préoccupations des secteurs institutionnels de la santé et de l’éducation, mais aussi des milieux communautaires et de bons nombres de citoyens.

Les municipalités, quant à elles, ont longtemps envisagé l’alimentation sous l’angle de l’emplacement des points de vente, de la circulation des marchandises et de l’innocuité des aliments de restauration. Cela correspond aux responsabilités qui leur étaient dévolues, auxquelles s’ajoutent maintenant le développement social.

Dans ce portrait des secteurs concernés, les intérêts des producteurs et les contraintes qu’ils subissent face à la mondialisation des marchés correspondent à des préoccupations dont il faut aussi tenir compte. Dans la même foulée, les aléas des importateurs, des transformateurs et des distributeurs alimentaires doivent également être entendus et mis dans la balance. Sans compter les impacts environnementaux de nos pratiques agro-alimentaires qui préoccupent les groupes écologistes et plusieurs de nos concitoyens.

C’est avec cette perspective qu’est né Nourrir Montréal, une concertation intersectorielle métropolitaine regroupant des représentants de plusieurs secteurs concernés par l’alimentation en général et par la sécurité alimentaire en particulier. Je parle ici du Conseil régional des élus, de la Direction de la santé publique, de la Ville de Montréal, incluant des élus et des cadres administratifs, des commissions scolaires, des universités, de l’UPA, de Centraide et des fondations publiques et privées, des hommes d’affaires, des syndicats concernés, de plusieurs regroupements communautaires, sans compter les citoyens au premier chef concernés.

Un peu d’histoire

Oh ! Vous savez, ça ne s’est pas fait tout seul cette concertation, ni même du premier coup. Déjà, en 1986, la Table de concertation sur la faim et le développement social du Montréal métropolitain, dont je suis également le coordonnateur, avait initié une première démarche de concertation régionale en regroupant plusieurs acteurs communautaires et même certains acteurs institutionnels désireux de dépasser le soulagement de la misère pour travailler ensemble au développement d’interventions efficaces et durables de lutte contre la faim et la pauvreté. Ce regroupement communautaire est ainsi arrivé dans les dernières années à élaborer avec ses 80 organismes membres un document de politique de sécurité alimentaire qui interpelle l’ensemble des secteurs agissant dans la chaîne alimentaire, de la production à la consommation.

Au niveau des quartiers, plusieurs groupes communautaires avaient organisé depuis quelques années une bonne dizaine de concertations locales en sécurité alimentaire qui associaient acteurs institutionnels et communautaires et qui arrimaient des actions variées telles que, jardin collectif, magasin partage, épicerie communautaire, groupe d’achat, cuisine collective, cuisine créative ou gourmande, transport collectif vers les marchés, atelier en saine alimentation, etc.

En 1990, une première tentative de mise sur pied d’une instance régionale résolument intersectorielle en sécurité alimentaire vit le jour, dans la foulée de Vivre Montréal en santé. Ce premier Nourrir Montréal était une vaste coalition d’instances de tous horizons, concernées par la pauvreté grandissante et le problème conséquent de la faim. Cependant, confrontés aux demandes croissantes de soutien financier aux organismes d’aide alimentaire, plusieurs partenaires importants, ne possédant pas alors les programmes pour y répondre, délaissèrent peu à peu cette coalition que seule la Ville put, un tant soit peu, financer. À l’arrivée, en 1994, d’un nouveau gouvernement municipal, l’initiative fut abandonnée.

En 1996, la Direction de la santé publique commença à financer des projets locaux de sécurité alimentaire dans une perspective de développement, plutôt que d’assistance. Pour assurer le suivi de ces projets, elle invita les groupes communautaires impliqués dans ces projets et d’autres acteurs sociaux concernés à travailler au sein d’un Groupe des partenaires pour le développement de la sécurité alimentaire dans la région de Montréal. Durant sept ans, cette coalition favorisa le développement d’approches concertées dans les quartiers en vue de répertorier les ressources alimentaires locales et de soutenir certains projets consensuels.

Cependant, là encore, la tentative n’aboutit pas à créer la synergie voulue, car la formule adoptée portait son lot de contradictions. En effet, le Groupe des partenaires était entre autres composé de représentants de groupes communautaires qu’il subventionnait et jouait en même temps un rôle de bailleurs de fonds auprès d’autres groupes, ce qui évidemment posait problème. De plus, ce rôle était incompatible avec celui d’organisme-conseil qu’il cherchait à développer auprès des décideurs politiques. Enfin, la représentation du milieu communautaire devait être revue pour mieux refléter les diverses approches d’intervention.

En 2003, la DSP mit donc fin au Groupe des partenaires, tout en invitant ces derniers à se mobiliser pour relancer une nouvelle instance montréalaise qui tiendrait compte de l’expérience passée pour dépasser les limites rencontrées et aborder la question de l’alimentation en prenant en compte toutes ses dimensions.

Certaines conditions à mettre en place

Pour entamer une telle démarche

D’emblée, on peut dire que la nécessité d’une nouvelle instance régionale de concertation en sécurité alimentaire était alors partagée par tous les acteurs institutionnels et communautaires déjà impliqués. Le défi consistait à trouver la formule opérationnelle qui permettrait à d’autres acteurs sociaux concernés de s’y intéresser et à tous de s’y sentir à l’aise.

Une étude réalisée par une firme de consultants engagée par la DSP pour évaluer l’expérience récente en arriva à proposer certaines conditions pouvant faciliter la mise sur pied de la future instance.

a) Distinguer concertation et partenariat

Elle fit tout d’abord la distinction entre concertation et partenariat. La concertation y était décrite comme « le rassemblement d’acteurs concernés autour d’un processus volontaire plus ou moins formel et décisionnel où les participants peuvent se satisfaire d’échanges d’informations, de la mise en commun d’analyses et de la recherche de solutions consensuelles à des problèmes reconnus, et ce, pour la mise en œuvre de stratégies d’ensemble, de politiques globales, de mandats larges ou précis, et d’engagements fermes ou souples. »  On en retient l’idée d’une coalition plus ou moins formelle autour de vastes objectifs et stratégies communes.

Le partenariat y était en gros défini comme « l’engagement contractuel de différents acteurs, nommés alors partenaires, autour d’un projet commun dont la mission, les objectifs, les moyens d’action et la durée sont clairement définis. »

Bref, la nouvelle instance régionale y était entrevue d’abord comme « un lieu de concertation entre acteurs de différents secteurs et milieux, d’où pourraient émerger, par la suite, des partenariats » entre certains de ceux-ci, « autour d’objectifs plus fermes, plus pointus et liés à la réalisation de projets ou d’activités. »

b) Des conditions de réussites

Des « conditions de réussite à cette première étape de concertation régionale étaient aussi proposées. Il fallait ainsi s’assurer de :

  • Limiter le nombre d’objectifs de la concertation;
  • En résumer l’enjeu central en quelques lignes;
  • S’assurer que cet enjeu soit perçu comme majeur par tous les acteurs;
  • Rappeler fréquemment les objectifs de base afin que les problèmes de parcours n’occultent pas la prospective première;
  • Rappeler à l’occasion que les intérêts des participants peuvent diverger et même s’opposer sans remettre en question les objectifs communs;
  • Rappeler que chaque acteur doit pouvoir tirer avantage de sa participation;
  • Reconnaître clairement la contribution de chacun ;
  • S’assurer que chaque acteur puisse être écouté et puisse influencer les décisions;
  • Prendre en compte les réalités individuelles de chacun;
  • Et communiquer dans un langage accessible. »

Créer un noyau représentatif porteur du projet

Fort de ces recommandations, un petit noyau de personnes issues du Groupe des Partenaires commença alors à travailler à une proposition de création d’une nouvelle instance de concertation régionale en la matière. Il en ressortit, fin 2003, un mandat confié au Conseil régional de développement d’agir comme leader pour faciliter cette démarche. Celui-ci (remplacé un an plus tard par la Conférence régionale des élus, son successeur) s’est alors attelé à la tâche de sensibiliser et d’obtenir l’adhésion des différents réseaux communautaires, scolaires et bioalimentaires concernés et de proposer une formule plus efficace de concertation régionale.

Le comité ainsi élargi de mise sur pied travailla alors à développer une compréhension commune de la mission, de la structure et du fonctionnement de la future instance. Cette étape permit également de préciser le mandat de la nouvelle instance qui fit consensus parmi tous les acteurs.

Cette période de démarrage nous a pris un certain temps, nous l’avouons et le défendons. Un an et quelques mois en fait. Mais ce n’était pas de trop! Il est en effet important de commencer ce genre de démarche en se faisant une tête commune autant sur la compréhension des problèmes de la faim, de l’alimentation en général et du système qui les produisent que sur la mission et les structures à se donner pour y faire face efficacement.

Nous avons ainsi pris le temps de s’entendre sur plusieurs concepts de base avec lesquels nous aurions à travailler comme celui de sécurité alimentaire et de système alimentaire, afin de s’assurer que nous partagions un vocabulaire et une compréhension commune lorsque nous échangerons entre nous.

Par exemple, il est apparu d’emblée que le terme « sécurité alimentaire » était souvent confondu par la population en général avec la seule « aide alimentaire », tandis qu’il était compris par les représentants de l’industrie comme « la salubrité alimentaire ».

Par contre, chez les secteurs de la santé, de la municipalité et du communautaire, travailler sur les enjeux de la sécurité alimentaire impliquait de se pencher autant sur les questions de la faim, du revenu pour se procurer à manger, de la qualité et de la variété de l’alimentation, que sur les questions du système de production, de transformation et de distribution alimentaire. S’occuper de sécurité alimentaire, c’était aussi s’occuper de la santé des gens, de leur éducation nutritionnelle et culinaire, de leurs habitudes de vie, du développement social et économique et de la planification des espaces de vie commune.

En bout de piste, nous nous sommes entendus sur une définition de ce concept qui considère que « pour vivre en santé, comme pour travailler et participer pleinement à la société, les gens, autant riches et pauvres, doivent se nourrir tous les jours. Il faut donc que tous aient accès à des aliments nutritifs, en quantité suffisante et à coût raisonnable (ce qui n’est pas toujours le cas). Et pour y avoir accès, les gens doivent disposer d’un pouvoir d’achat adéquat et d’une information simple et fiable conférant des habiletés et permettant de faire des choix éclairés. »

Élaborer les grands axes préliminaires du projet

a) Une mission commune

Pour atteindre ce but, nous avons convenu que notre mission commune serait de « promouvoir l’avancement de la sécurité alimentaire dans la région de Montréal en visant certains grands enjeux, à savoir :

  1. Favoriser la reconnaissance et le respect du droit à l’alimentation pour tous, ce qui implique de travailler à réduire les inégalités en alimentation;
  2. Développer une réelle culture alimentaire, c’est-à-dire mettre en valeur les savoirs et les pratiques culinaires, nutritives et agricoles;
  3. Travailler à l’amélioration du système alimentaire en faisant la promotion de la diversité et de la durabilité des modes de production, de transformation, de distribution et de consommation des aliments;
  4. Assurer à travers les trois enjeux précédents le développement des personnes et de leur milieu.

Je vous ferai remarquer que la définition de cette mission commune exigea des groupes communautaires qu’ils renoncent à une demande initiale pourtant extrêmement importante pour leur survie, soit que cette future instance assure le financement de leurs activités. Bien que reconnaissant le rôle déterminant des groupes communautaires en matière de sécurité alimentaire et la nécessité que l’on assure leur mission par un financement récurrent, les autres acteurs impliqués considérèrent, l’expérience aidant, que la nouvelle instance, pour bien atteindre ses objectifs de concertation, ne pouvait pas être à la fois le pourvoyeur de certains et le rassembleur de tous.

Comme quoi, pour arriver à développer une telle concertation régionale, il faut savoir reconnaître et prioriser les objectifs que l’on peut atteindre ensemble, quitte à ce qu’on travaille ailleurs avec certains d’entre eux à atteindre d’autres enjeux qui nous tiennent pourtant à cœur.

b) Des valeurs guides

Nous nous sommes également entendus sur certaines valeurs devant guider nos choix et baliser notre démarche, soit les valeurs d’équité, de justice sociale, de solidarité, de diversité, de protection de l’environnement et de respect des droits, des cultures et des capacités de chacun.

c) Un fonctionnement

Nous avons de plus convenu d’un fonctionnement de l’instance qui repose sur des membres représentatifs de leurs milieux respectifs et donc clairement mandatés par leurs instances et sur le respect de l’autonomie de chacun autour d’actions à portée régionale.

d) Des modes d’action

Ainsi orientés, nous nous sommes enfin dis que Nourrir Montréal se devait de devenir avant tout un lieu de concertation, d’information, de sensibilisation et de représentation.

  • Lieu de concertation d’abord pour favoriser le rassemblement, la synergie, la complémentarité et l’influence entre les acteurs participants en vue d’actions communes pour certains d’entre eux;
  • Lieu d’information aussi, de rencontre, d’échange de réflexions et d’expertise sur les enjeux dans le domaine, un carrefour de partage et de diffusion des connaissances en la matière, un outil prospectif d’anticipation des tendances, des changements de conjoncture et des défis à relever;
  • Lieu également de sensibilisation pour faire connaître au public et aux autres acteurs sociaux ces enjeux et pratiques en sécurité alimentaire;
  • Lieu enfin de représentation auprès des instances décisionnelles pour promouvoir des politiques et des mesures favorisant l’égalité sociale et une meilleure sécurité alimentaire.

Orientations stratégiques autour des trois grands enjeux

Autour des trois grands enjeux identifiés plus avant, nous avons ensuite élaboré des orientations stratégiques devant guider nos actions communes. Soulignons que nous avons distingués dans ces enjeux, les dimensions régionales de celles nationales pour mieux cibler nos orientations stratégiques.

a) Enjeu 1 : La faim et le respect du droit à l’alimentation

Ainsi, pour ce qui est de notre premier enjeu, soit la faim et le respect du droit à l’alimentation, nous avons convenu que notre mode d’action principal serait la représentation auprès des instances politiques. (Avec comme soutien la sensibilisation de ces instances et du public en général)

Pour cet enjeu, nous nous sommes donné ces orientations stratégiques, à savoir :

  • Promouvoir le droit à l’alimentation en tant que droit humain fondamental et le transposer à l’échelle régionale montréalaise;
  • Promouvoir le respect des engagements juridiques et politiques aux plans municipal, provincial, fédéral et international;
  • Favoriser l’augmentation de l’accès équitable à l’alimentation selon la diversité des besoins de la population;
  • Faire des liens avec les actions de promotion des droits humains et sociaux dans des domaines connexes comme le logement, le revenu, l’emploi, le transport, la famille, etc.)

b) Enjeu 2 : Le développement d’une culture alimentaire

En ce qui concerne notre second enjeu, soit le développement d’une culture alimentaire, nous nous sommes entendus pour que notre mode d’action principal soit l’information auprès des institutions et des industries concernées. (Avec comme soutien à cette intervention la sensibilisation de ces instances et du public en général)

Nous nous sommes là aussi donné des orientations stratégiques pour cet enjeu, à savoir :

  • Sensibiliser les institutions et les industries en vue de favoriser une saine alimentation;
  • Promouvoir l’apprentissage et la transmission des savoir-faire et des connaissances agricoles, culinaires et nutritionnelles.
  • Favoriser la diversité et l’échange entre les cultures alimentaires
  • Promouvoir une culture de solidarité et de partage alimentaire

c) Enjeu 3 : L’amélioration du système alimentaire

Concernant notre troisième enjeu, soit l’amélioration du système alimentaire, nous avons choisi comme mode d’action principal la concertation entre acteurs du système alimentaire. (Avec comme soutien à cette démarche la sensibilisation de ces instances et du public en général à l’enjeu en question).

Comme orientations stratégiques pour cet enjeu, nous avons privilégié de :

  • Favoriser la diversité des modes de production, de transformation et de distribution des aliments;
  • Partager et diffuser des informations au sujet de la qualité nutritive et de l’innocuité des aliments;
  • Faire des liens avec les enjeux de développement durable et les actions de protection de l’environnement.

 

Pour mettre en œuvre ces trois grands axes d’intervention, nous nous sommes divisés en trois comités distincts regroupant les représentants siégeant à Nourrir Montréal, mais aussi, au besoin, des personnes ressources compétentes en la matière et désireuses de travailler avec nous à ces chantiers emballants.

Démarrer rapidement une action

Apportant des résultats significatifs

Nous en sommes là actuellement. Les comités sont déjà à pied d’œuvre, mais n’ont pas encore déposé les résultats de leurs premières délibérations. Mais, d’ores et déjà, l’écho qui m’en provient me laisse entendre que les actions qui en résulteront risquent de nous surprendre à plus d’un chef et, en premier lieu, par la rapidité de la mobilisation des acteurs à s’entendre sur des initiatives communes.

Et c’est tant mieux. Car ce qui importe dans une telle démarche de concertation, c’est de pouvoir faire assez vite un premier pas, aussi minime soit-il, afin de susciter l’adhésion et la participation de ceux qui, parmi les participants, redoutent les longs palabres qui n’aboutissent pas à des résultats rapides et significatifs. En la matière, ce n’est pas seulement en regardant le sommet de la montagne à gravir que l’on galvanise les troupes, mais en faisant un premier pas nous amenant à une première étape, puis, réconfortée par ce premier succès, à d’autres étapes successives. De plus, pour y arriver, nous ne devons pas chercher à embarquer tous les organismes participants dans des actions communes, mais plutôt favoriser rapidement des actions convergentes entre acteurs volontaires et complémentaires.

Dégager un budget récurrent

Pour engager un.e responsable du projet

Une condition importante à la réalisation de ce projet de concertation régionale qu’il ne faut pas oublier est évidemment les ressources financières et humaines qu’ont y consacrera. L’expérience passée nous avait appris que de confier la tâche de coordination de cette instance à une personne dont ce n’était pas la seule fonction risquait de ralentir la démarche de tous.

Si nous avons confié le leadership de cette démarche à la Conférence régionale des élus, c’est qu’elle avait prouvé dans plusieurs autres champs d’activités qu’elle s’acquittait fort honorablement de l’édification de concertations intersectorielles fort efficaces. C’est donc sous son égide que trois partenaires institutionnels, la Ville de Montréal, la Direction de la santé publique et la Commission scolaire de Montréal dégagèrent des fonds pour engager une responsable de ce projet.

Il est important de souligner ici pour les organismes participants que cette ressource ne les soustrait pas à leur obligation de mettre l’épaule à la roue en dégageant leurs propres ressources pour faire avancer la démarche.

Au contraire, elle permet que ces contributions aboutissent plus rapidement et de façon mieux préparée aux résultats escomptés.

Se donner un échéancier réaliste

  Et des structures de suivi et d’évaluation

Bien que nous favorisions le déclenchement rapide de projets atteignables, il importe dans cette démarche de concertation de se donner un échéancier réaliste qui tient compte des ressources et des missions de chacun. Les institutions, les syndicats et les industries concernées disposent en effet de plus de ressources payées que ne possèdent pas nécessairement les regroupements et les groupes communautaires impliqués. Ces derniers fonctionnent la plupart du temps en comptant beaucoup sur le temps bénévole de leurs salariés et de leurs membres/usagers. C’est une réalité dont il faut tenir compte sous peine de risquer l’essoufflement de certains participants ou leur désaffection à plus ou moins long terme.

Un échéancier identifiant les étapes de réalisation de l’action projetée et les contributions attendues de chacun des intéressés clarifiera les attentes communes et permettra à chacun d’harmoniser sa contribution avec les tâches habituelles qui lui sont demandées.

Un autre facteur de persistance dans cette démarche demeure l’établissement de structures de suivi et d’évaluation qui permettront régulièrement de faire le point sur l’état d’avancement des travaux de chaque comité et de rectifier le tir, le cas échéant, pour que les actions enclenchées correspondent vraiment aux objectifs et aux valeurs faisant consensus.

Un leadership partagé

Compte-tenu des ressources limitées décrites plus haut, il importe enfin de ne pas dépendre d’une seule personne « forte » et de partager le leadership de cette démarche entre les acteurs impliqués. Identifions les rôles que nous attendons de chacun, mais sachons également partager et déléguer les responsabilités, afin de ne pas faire reposer toute cette dynamique sur les épaules d’une ou de quelques personnes clés.

N’ayons pas peur de créer des comités et des sous-comités au gré des expertises et des affinités de chacun pour développer des actions qui vont dans le sens des objectifs communs. Il ne s’agit pas ici de nier l’ascendant que certains peuvent avoir sur leur communauté, mais au contraire de démontrer clairement et publiquement que cette mobilisation du milieu implique plusieurs acteurs déterminants et qu’elle ne saurait aboutir sans la contribution et les talents du plus grand nombre. Si nous voulons développer un modèle de société qui cesse de créer des exclus, commençons par développer des dynamiques pour le contrer qui reposent sur les ressources trop souvent inemployées de chacun. Nous arriverons ainsi, j’en suis certain, à inventer une société qui non seulement travaillent à améliorer le sort des plus pauvres de ses citoyens, mais s’appuie sur eux pour y arriver.

Conclusion

En conclusion, j’aimerais vous faire entrevoir les perspectives qu’une telle démarche nous ouvre. Là où chacun est limité par ses moyens restreints et sa mission particulière, la mise en commun des effectifs humains, des ressources matérielles et de la volonté de tous permet d’atteindre des objectifs autrefois impensables. La formule n’est pas nouvelle. On n’a qu’à se rappeler les « bis » organisés par nos grands-parents pour venir en aide à un voisin touché par l’incendie de sa maison ou de sa grange. L’effort collectif des voisins et les talents respectifs de chacun mis en commun arrivaient rapidement à recréer des bâtiments souvent encore plus beaux que ceux qui avaient été dévastés, et ce, dans l’enthousiasme et la bonne humeur que procurent ces réalisations impressionnantes, au coude à coude.

Sachons tabler sur les différences et les particularités de chacun pour élaborer des chantiers où ces différences ne seront plus perçues comme des contradictions, mais comme des compléments pour l’œuvre commune.

Par exemple, les groupes communautaires, par leur situation de première ligne plus près des gens et par le type d’engagement personnel qu’ils suscitent, sont les mieux placés pour créer et soutenir les réseaux citoyens qui seront les bases du développement social d’un milieu qui se prend en main et ce, autour de projets améliorant concrètement la vie collective et individuelle. Reconnaissons-le et soutenons de façon continue ces interventions communautaires qui reposent sur des processus citoyens à long terme et qui sont déterminantes pour la recréation du tissu social éclaté des milieux appauvris.

Les municipalités quant à elles, en plus de soutenir financièrement et matériellement les réseaux citoyens ainsi créés, peuvent organiser l’espace urbain et développer des logements sociaux intégrant mieux l’approvisionnement alimentaire à la trame sociale existante. En ce sens, les villes peuvent, en collaboration avec les groupes communautaires intéressés, informer régulièrement les citoyens des ressources d’urgence et d’entraide en matière d’alimentation, favoriser le développement de jardins communautaires ou collectifs et des marchés publics d’alimentation dans les zones plus défavorisées, exempter de la taxe d’eau ces jardins et marchés publics et soutenir fiscalement l’établissement de grandes surfaces dans les zones délaissées ou mal approvisionnées.

Elles peuvent également améliorer les transports collectifs pour faciliter l’accès et le transport des aliments achetés dans les commerces d’alimentation de qualité ou des aliments distribués dans les groupes communautaires. Elles peuvent étendre leur surveillance de l’innocuité alimentaire à d’autres réseaux de distribution pour assurer une alimentation de qualité pour tous. Elles peuvent de plus déterminer le zonage autour des écoles pour en éloigner les restaurants de malbouffe malheureusement trop prisés par nos ados.

Enfin, elles peuvent harmoniser les mesures de leurs différents départements et programmes actuels pour susciter leur intérêt à développer une politique globale de sécurité alimentaire sur leur territoire.

En plus de soutenir financièrement et en personnes ressources les missions de base des groupes communautaires et de leurs regroupements par des programmes récurrents à long terme, les CSSS, les centres hospitaliers et la Direction régionale de santé publique peuvent, quant à eux, favoriser avec les autres acteurs impliqués, l’intégration d’une politique de santé publique dans la planification urbaine et rurale environnante.

Ces institutions de santé peuvent également se doter dans leurs établissements d’une politique d’achats locaux ou régionaux d’aliments et développer un recensement des lieux d’approvisionnement et de restauration privées et communautaires en rapport avec la densité de la population pour mieux visualiser les besoins et les manques en la matière.

Elles peuvent aussi développer des recherches sur les facteurs de risque de maladies reliées à une certaine nutrition et sur la nocivité ou l’innocuité de certains aliments modifiés et organiser des activités publiques d’information sur les résultats de ces recherches. Elles peuvent enfin élaborer des stratégies nutritionnelles et des campagnes de promotion d’une nutrition saine basée sur des aliments prévenant le cancer, le diabète, les maladies cardiaques ou d’autres maladies dévastatrices.

Les commissions scolaires et les écoles peuvent elles aussi contribuer à l’effort collectif en réintroduisant dans le cursus scolaire des cours d’apprentissage nutritionnel et culinaire couplés à l’apprentissage académique des matières comme le français, les mathématiques, la géographie, etc. Elles peuvent harmoniser les politiques d’approvisionnement alimentaires de leurs établissements avec celles des groupes communautaires, des services de santé et des municipalités afin d’obtenir une masse critique d’achats permettant à tous de jouir de prix de gros très intéressants.

Elles peuvent, en collaboration soit avec les groupes communautaires concernés ou les agriculteurs intéressés, ouvrir une partie inutilisée de leurs cours d’école aux jardins communautaires ou aux marchés publics d’alimentation et offrir aux citoyens l’usage de leurs installations de cuisine ou de leurs locaux le soir pour organiser des cuisines collectives,  des cours d’apprentissage culinaire ou des réseaux de parents désireux de s’entraider pour mieux assumer leurs responsabilités parentales.

Je vous ferai grâce des possibilités offertes par la contribution à cet effort collectif potentiel des autres acteurs sociaux concernés. Les industries de l’alimentation, les syndicats d’agriculteurs et de travailleurs du réseau de transformation et de distribution alimentaire, les fondations caritatives et les réseaux religieux ouvriraient eux-aussi, pour peu qu’ils travaillent ensemble, des possibilités d’amélioration de la situation absolument renversantes mais encore inexplorées.

Voilà autant de perspectives qu’une telle concertation régionale permet d’espérer et de construire si nous le voulons bien. Ces perspectives ne sont pas le fruit de nos simples spéculations. La preuve que l’on peut les atteindre, c’est que j’ai puisé plusieurs d’entre elles à même les réalisations des Food Policy Councils, ces structures de concertation semblables qui existent dans plusieurs villes d’Amérique du Nord.

Je terminerai en ajoutant ceci. Je vous ai parlé des conditions à mettre en place pour arriver à créer une telle dynamique de concertation intersectorielle. Mais je ne vous ai pas encore parlé de la condition la plus importante. Pour réussir à faire travailler ensemble des acteurs sociaux aux intérêts et aux préoccupations différentes et même parfois divergentes, le plus important, c’est de changer de regard.

Ne plus voir seulement chez l’autre celui ou celle avec qui nous avons eu ou entretenons des contradictions, mais se concentrer, l’espace de ces réunions de concertation du moins, sur les qualités que nous lui reconnaissons dans l’exercice de ses fonctions ou dans sa vie civique et tabler sur celles-ci pour travailler avec lui ou elle à développer des possibilités réelles de convergences et de réalisations communes qui créeront cet art de vivre ensemble que l’on appelle la vie citoyenne.

Je vous remercie de votre attention et vous souhaite un tel esprit d’ouverture à l’autre dans la poursuite de vos travaux.

Montréal, 25 avril 2006.

Retrouvez le PDF de la conférence ici