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Cuisine collective

 

Conférence donnée le 2 décembre 2005 au Forum sur la pauvreté et le développement social d’Argenteuil par Jean-Paul Faniel, coordonnateur de la Table de concertation sur la faim et le développement social du Montréal métropolitain : “La lutte à la pauvreté, un processus d’accompagnement”


 

Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et messieurs qui vivez la pauvreté,
Mesdames et Messieurs qui côtoyez cette pauvreté et vous en préoccupez

Bonjour,

Comme annoncé, je suis coordonnateur de la Table de concertation sur la faim et le développement social du Montréal métropolitain, un regroupement de plus de 80 organismes et coalitions d’organismes œuvrant sur le front le plus dramatique de la pauvreté : celui de la faim. Je suis également membre du Collectif pour un Québec sans pauvreté, section de Montréal et ce n’est pas un hasard.

La faim dans notre société, une misère inacceptable

En effet, le travail que nous faisons nous amène à côtoyer à chaque jour la misère humaine la plus inacceptable dans une société aussi riche que la nôtre. Nous sommes ainsi les témoins indignés, mais récalcitrants, de milliers de personnes qui, avec leurs maigres 537. $ par mois de la Sécurité du Revenu, et après avoir payé les dépenses incompressibles de loyer, de chauffage, d’électricité, de chaussures et de vêtements, n’ont plus que 50. $ par mois pour se nourrir, quand ce n’est pas moins suite aux coupures.

Dans un tel contexte où aucune marge de manœuvre n’existe, imaginez le stress constant et l’angoisse du prochain coup dur qui ne manquera pas d’arriver, comme le réfrigérateur qui brise, une maladie soudaine ou des lunettes pour un enfant. Et si, dans cette situation déprimante, ces personnes trouvent le courage de chercher un emploi, les voilà confrontés au C.V. à présenter sans souvent la scolarisation et le matériel technique pour les rédiger, aux vêtements à acheter pour mieux paraître devant l’employeur et au transport à payer pour faire la tournée des entreprises convoitées.

Notre travail nous amène aussi à rencontrer de jeunes mères monoparentales qui ont décroché très tôt du système scolaire et qui, déqualifiées, se retrouvent avec des jobs au salaire minimum, à temps partiel et souvent au noir qui ne leur permettent pas de nourrir convenablement leurs enfants, de les chausser et de les habiller assez pour les prémunir du froid de nos hivers et de les soigner quand ils tombent évidemment malades. Quand elles désirent retourner aux études, elles sont alors confrontées au choix d’ajouter à leur fardeau de prendre des cours du soir avec les problèmes de gardiennage que cela pose ou de quitter leur emploi en assumant de ne pas recevoir d’assurance-emploi durant la période de pénalité, chose qu’elles ne peuvent se permettre.

Nous sommes également témoins de ces personnes âgées, souvent seules et isolées, qui confrontées aux maigres prestations qu’elles reçoivent et aux mêmes obligations que nous tous, se voient obligées de rogner sur leurs médicaments, sur leur nourriture et sur la qualité de leur logement, pour arriver à joindre les deux bouts. Encore plus affaiblis par un tel régime de privation, de maladie peu contrôlée et de logement mal calfeutré, leur vie se détériore et s’écourte d’autant, alors qu’elles devraient profiter paisiblement de leur vieillesse après avoir contribué toute leur vie au développement de la collectivité.

Et comment s’alimenter sainement et convenablement dans des situations aussi dramatiques et avec des revenus aussi ridicules ? Pas étonnant que plusieurs de ces personnes aient recours à la charité publique pudiquement recyclée en dépannage alimentaire où ils sont souvent acculés à manger ce que le reste de la société ne veut pas consommer et à se passer du reste nécessaire à une alimentation équilibrée. Nous sommes loin du principe autrefois largement partagé qu’on ne devrait pas donner ce que nous mêmes nous ne mangerions pas. Et adieu la santé !

Une réponse éclatée

Confrontés à cette situation, nous faisons tous le constat de l’éclatement des interventions qui se penchent sur cette pauvreté grandissante. En effet, les solutions aux multiples problèmes engendrés par la pauvreté ont emprunté jusqu’ici une approche qui vise, en fait, à combler des besoins essentiels compartimentés, mais qui ignore l’interaction entre ces différents aspects d’une même réalité. La famille appauvrie est alors découpée en autant de tranches de problèmes qu’il y a de programmes pour les résoudre, un peu comme on épluche un oignon : problèmes de revenu et programme correspondant, problèmes d’emploi, de logement, de dettes, d’insécurité alimentaire, de grossesses adolescentes, de violence, de délinquance, d’isolement, de détresse psychologique, d’idées suicidaires et autant de programmes pour y répondre.

S’ensuit une multiplication des interventions, souvent auprès des mêmes personnes, sectorisées et « clientélisées » par service pour les besoins de programmes définis qui ne parviennent pas pour autant à régler les problèmes à la source. Elles en créent même d’autres à la longue de dévalorisation, de démotivation, de déresponsabilisation et de dépendance. Décrits comme négligents, désorganisés ou dysfonctionnels, les gens sont ainsi considérés comme des objets de soins ou de services dispensés par des spécialistes qui savent ce qui est bon pour eux.

Trop souvent infantilisés par une approche traditionnelle qui fait peu appel à leurs ressources personnelles, ces personnes en viennent à ne plus se voir ou se vouloir sujet de leur vie, auteur et acteur de leur destin et encore moins citoyen de leur ville ou de leur région. Ils se confinent alors à leur rôle d’éternel client. Ainsi, on aura beau construire plus de services de santé, augmenter le nombre d’infirmières, de travailleurs sociaux ou de policiers pour apporter divers remèdes aux maux de ces patients-clients, ceux-ci ne s’en porteront pas mieux pour autant.

L’intersectorialité, est-assez ?

Face à ce constat, on parle de mieux utiliser les multiples ressources du milieu. On exhorte alors les différents acteurs sociaux à se concerter pour maximiser la complémentarité et l’impact de leurs interventions respectives sur le bien-être du citoyen appauvri. Par cette convergence et une meilleure harmonisation des services offerts, on espère augmenter leur efficacité.

Comprenons-nous bien ! J’estime que ces efforts sont louables et doivent être encouragés. Mais est-ce de cela dont il est question quand nous parlons de lutte à la pauvreté et de développement social d’une région. Nous croyons que non. Assurer les besoins essentiels est en effet une chose. Viser de réellement aider les gens à sortir de la pauvreté en développant leur potentiel individuel et collectif, c’est tout autre chose. C’est à cette approche que je vous convie.

Des exemples

Pour bien se comprendre, rien de mieux que des exemples. Je vais vous en présenter deux : d’abord, celui que je connais le mieux, celui des groupes communautaires en sécurité alimentaire. Depuis longtemps dans notre milieu, on était habitué à l’approche par besoins essentiels, celle des organismes de bienfaisance qui consistait à donner de la nourriture à ceux qui n’arrivent pas à boucler les fins de mois avec leur maigre revenu.

Notre table est née justement de la prise de conscience par les organismes dispensateurs de ces services des limites de cette approche. Après plusieurs années, certains organismes relevaient qu’après avoir aidé la grand-mère, ils en étaient maintenant rendus à soutenir sa fille et même sa petite fille devenue chef de famille. Le constat était navrant. Certes, on soulageait la misère, ce qui n’est pas rien quand on a du cœur, mais, si on ne faisait pas autre chose, on continuait de fait à gérer la pauvreté, plutôt que la combattre réellement. Il fallait changer. Il fallait trouver des solutions plus durables à la faim.

Les groupes aux prises avec cette réalité se sont donc donné en 1986 une Table de concertation, la nôtre, autour de cet objectif : chercher une façon efficace de dépasser le dépannage alimentaire. On a donc cherché du côté des expériences alternatives que quelques-uns de ces groupes développaient avec les personnes qu’elles desservaient.

La formule des cuisines collectives fut la première à se démarquer. Des femmes se mettaient ensemble pour acheter leurs aliments à meilleurs prix et cuisiner ensemble pour le mois plusieurs plats pour leur famille. La Table, en 1989, a donc reçu le mandat de ses membres d’appuyer cette formule et en a fait la promotion avec le succès que l’on connaît : plus de 500 cuisines collectives à travers le Québec.

Par la suite, au fil des ans, les groupes nous ont encore inspiré par leurs pratiques innovatrices développées avec les personnes appauvries de leurs milieux. Déjà, des mères de familles s’organisaient entre elles pour faire dîner les écoliers de leurs écoles. En 1991, s’inspirant de cette expérience et pressé par notre insistance, le gouvernement promulguait les Mesures alimentaires en milieu scolaire, soutenues dans leur promotion par notre réseau.

Plus tard, en 1993, nous soutenions la formule des Magasins Partage, s’inspirant en cela de la pratique de certains paroissiens qui voulaient, à l’occasion des Fêtes, redonner un peu de dignité aux gens en leur offrant le choix des denrées de leur panier de Noël.

En 1995, stimulés par un groupe de gens qui complétaient leur panier alimentaire en achetant des denrées fraiches en gros et à meilleur prix, nous avons soutenus l’expérience des Groupes d’achats et en 1999, celle des liens commerciaux qu’ils avaient développés avec des agriculteurs.

En 2001 et 2002, alertés par la déqualification culinaire observée dans tous les milieux desservis par nos groupes, c’était au tour de l’expérience d’apprentissage culinaire et nutritionnel des écoliers et de la création de réseaux d’entraide entre parents de recevoir notre aide. Continuant à soutenir à ces formules, nous en sommes maintenant à travailler avec nos gens au développement d’une politique nationale de sécurité alimentaire, dont on pourrait reparler si le cœur vous en dit.

Très tôt, le dénominateur commun de ces approches est apparu évident. Plutôt que de partir des problèmes des gens appauvries, ces formules s’adressaient à leurs potentiels, à leurs ressources et à leurs aspirations. Contrairement à l’approche par besoins essentiels qui considérait les personnes appauvries comme des démunies à qui des intervenants devaient offrir des services de subsistance, l’approche adoptée tablait sur les expertises de vie des citoyens et leur sens de la débrouillardise pour leur proposer de mettre l’épaule à la roue dans des projets concrets qui leur appartenaient.

On a vu ainsi des gens puiser à même leur dignité pourtant bafouée l’énergie nécessaire pour travailler ensemble à se redonner un pouvoir collectif pour reprendre du contrôle sur leur alimentation, améliorer concrètement leur qualité de vie et se construire un réseau d’entraide qui brisait leur isolement et les renforcissait pour faire face aux multiples défis qu’ils vivent au quotidien. Ces gens ne sortaient pas pour autant de la pauvreté, mais ils sortaient de la misère. Ce faisant, ils redevenaient les acteurs de leur vie plutôt que les victimes et retissaient leur tissu social éclaté. En un mot, ils redevenaient des citoyens travaillant à leur propre développement et à celui de leur milieu. En fait, ils faisaient du développement social sans le nommer.

L’autre exemple que je veux partager avec vous en est un d’une région aux prises avec des difficultés de pauvreté aigue. C’est celui de Lac Mégantic. Petite ville industrielle auparavant prospère, mais devenue pauvre parce que n’ayant pu s’adapter au développement technologique, Lac Mégantic, sous l’impulsion d’un immigrant visionnaire, s’est redynamisé dans les années 70.

Ses habitants ont d’abord fait un inventaire de leurs ressources, passant de foyer en foyer afin d’identifier les habilités, les ressources et les aspirations de chacun pour ensuite mettre en interrelation les gens dans des projets faisant converger leurs potentialités. Certains savaient travailler le bois, d’autres étaient habiles en mécanique, des ménagères savaient tricoter, d’autres fabriquaient des œuvres artisanales, certains possédaient des camions, d’autres des métiers à tisser. Mais la plupart ne le savaient pas, isolés qu’ils étaient dans leurs rangs, éloignés les uns des autres. L’initiative proposée leur faisait prendre conscience de leurs ressources inemployées et les faisait converger dans des projets qui leur appartenaient.

De plus, décrétant au niveau municipal que, dorénavant, tout permis d’établissement privé ou public devait faire appel à l’investissement collectif, ils ont ainsi initié un mouvement qui responsabilisait la population face à son propre développement, tout le monde ayant un intérêt personnel évident (la rentabilité de son investissement) à ce que la collectivité prospère.

Un processus à reconnaître et à respecter

Je pourrais vous parler longuement de ces formules gagnantes, vous les expliquer en détails, vous en démontrer les rouages et les conséquences, comme la dynamique de l’Opération Village prospères qui a résulté de ce dernier exemple. Mais je ne le ferai pas. Pourquoi ? Parce que ça ne sert à rien d’étudier une formule ou une autre, si on ne comprend pas d’abord que ce qui fait qu’une approche est efficace avec des citoyens, c’est qu’elle est le fruit d’un processus avec eux, d’une démarche d’accompagnement, d’un long chemin où les gens se réapproprient leur estime de soi, leur confiance en leurs ressources, leur levier de décisions sur leur trajectoire et leur volonté active de reprendre du contrôle sur leur vie et sur leur milieu.

Toutes les tentatives d’appliquer une formule développée ailleurs sans tenir compte du processus qui lui a permis de naître se sont révélées vaines et improductives. Dans plusieurs cas, on a même assisté à une déformation de la formule, parce que ce qu’on en retenait, c’était justement la formule, et elle seule.

Ainsi, on a vu des cuisines collectives cuisiner avec de la bouffe issue des paniers alimentaires, faute de compréhension du but initial qui visait le développement de ces femmes et leur émancipation du dépannage alimentaire. On a vu des groupes d’achats devenir des minis Club Price où les gens commandaient leur liste d’épicerie par téléphone et se faisaient livrer leur commande chez eux. Exit le réseau d’entraide prévu initialement.

Je le répète, si on veut créer des dynamiques efficaces, on ne peut faire l’économie du processus d’expérimentation que les gens doivent faire pour comprendre leur situation et mettre en pratique ce qu’ils en ont compris. Ce ne sont pas des formules à copier, mais une dynamique citoyenne à respecter, étapes par étapes, au rythme de l’expérimentation des gens concernés.

Par exemple, à un niveau plus interpersonnel, ça ne sert à rien de chercher à convaincre une personne délaissée, ayant subi plusieurs échecs personnels dans sa vie qu’elle vaut quelque chose et qu’elle est capable d’accomplir des tâches, de prendre des responsabilités et de réussir des défis. Elle est convaincue du contraire par son vécu et filtrera tout ce que vous lui dites à l’aune de ce fatalisme.

J’en veux pour preuve un jeune homme que j’avais rencontré dans un groupe d’achats. Il vivait et avait toujours vécu dans la pauvreté, accumulant les échecs les uns après les autres. Échecs familiaux : enfant d’une famille dysfonctionnelle, il avait hérité de la violence de son père alcoolique et vivait seul, reclus; échecs relationnels : souvent irascible, il avait peu d’amis et n’arrivait pas à garder ses blondes; échecs scolaires : il n’avait pas complété son secondaire 1 et avait décroché de l’école depuis; et échecs sur le marché du travail : étant donné son manque de qualification, il n’arrivait pas à se trouver un emploi.

Ayant peu d’estime de soi, il me demandait pourquoi je croyais encore qu’il pouvait s’en sortir. Et il ajoutait : « J’ai été suivi par trois professionnels différents qui ne sont pas arrivés à réellement m’aider, pis tu crois que moi je peux y arriver par moi-même ? » La leçon était claire : il avait intégré le message que si autant de gens compétents n’arrivaient pas à l’aider, il ne pouvait, lui, se sortir de sa misère. Exactement l’inverse de ce que chacun de ces intervenants plein de bonne volonté cherchait à faire. Le problème, c’est qu’ils s’adressaient à lui sous l’angle de ses problèmes, en accentuant ainsi la perception qu’il n’était qu’une somme de problèmes.

Par contre, proposez-lui simplement d’améliorer sa situation en mettant la main à la pâte avec d’autres, soulignez publiquement sa réussite, bref, envoyez-lui d’emblée le message que vous le percevez comme capable de faire, invitez-le à expérimenter son potentiel et vous aurez accompli ce que vous recherchez : le développement de l’estime de soi et le retour de la confiance en soi qui lui permet de relever de nouveaux défis. On le voit, la conscience de son potentiel passe souvent par l’expérimentation de la réussite avant de le comprendre et de l’intégrer comme bagage de vie.

Oser le développement social, des conditions à mettre en place

Cependant, l’expérimentation de cette citoyenneté active dans un organisme ou dans un milieu dépend aussi d’un élément incontournable, la volonté manifeste de l’organisme ou du milieu de s’inscrire dans cette dynamique de développement des personnes.

Cette volonté étant acquise, quand on veut travailler à plusieurs au développement social et économique d’un milieu, l’important, c’est de se donner une vision commune du but que nous voulons atteindre. Par la suite, nous pourrons toujours discuter des objectifs précis, des moyens pour y arriver, que ce soit des ressources à s’adjoindre, des interventions les plus efficaces ou des types de concertation à mettre en place. En la matière, encore une fois, les buts se partagent souvent entre soulager la misère avec une approche qui dispense uniquement des services à des clients et lutter contre la pauvreté avec une approche qui travaille avec des citoyens à leur propre développement.

L’une vise à assurer le minimum vital pour survivre. L’autre vise le développement des potentiels de chacun. Or, le développement social, celui des personnes et de leur milieu, rappelons-le, exige de faire un choix. Le choix du développement social ne se fera cependant pas sans effort de notre part. Il nous faudra sortir de nos habitudes et oser. Oser dépasser notre vision sectorielle des problématiques pour adopter une approche globale et une analyse structurelle de la pauvreté, approche et analyse qui prendront en compte les interrelations et l’interdépendance entre les différentes facettes du développement des personnes et de leur milieu.

Conséquemment, il nous faudra oser envisager les solutions d’un point de vue résolument intersectoriel. Il nous faudra ainsi remettre en cause, ou du moins en veilleuse, la seule mission de notre organisme et la stricte approche par programmes sectoriels ou par clientèles cibles dont nous ont habituée les programmes gouvernementaux, pour une articulation locale et régionale de chacun de nos secteurs en interrelation les uns avec les autres. Ce n’est pas parce qu’on travaille très bien dans son CSSS ou dans sa cuisine collective qu’on peut prétendre avoir trouvé la solution à tous les problèmes des plus pauvres d’entre nous. Il faut faire plus et il faut le faire ensemble.

Pour ce faire, il nous faudra en premier lieu oser se faire une tête commune entre intervenants et citoyens concernés d’un même milieu, sur le développement social et économique que nous voulons pour ce milieu, vérifier la convergence de nos aspirations et interventions respectives et les modifier si nécessaire pour créer une synergie capable de réellement changer des choses.

On parle ici de processus de formation et donc, et là je m’adresse aux patrons, de temps alloué pour comprendre les cultures respectives de chaque individu et organisme impliqués, leur compréhension de la réalité qu’ils vivent ou avec laquelle ils travaillent, le vocabulaire et même le jargon pour certains organismes qu’ils emploient pour l’exprimer, leurs ressources et limites, pour en arriver à arrimer tout cela dans une dynamique régionale complémentaire.

D’autres exemples

Concrètement, cela peut se traduire par la mise en commun de ressources dispersées pour s’attaquer aux divers problèmes collectifs dénombrés par les citoyens qui les vivent. Ainsi, pour un problème de sécurité alimentaire, on peut décider de monter un groupe d’achats coopératifs en faisant appel à tous les citoyens qui désirent s’occuper collectivement de leur alimentation. Les gens plus en moyens assurent ainsi l’atteinte des volumes de denrées permettant l’achat aux prix de gros pour en faire bénéficier les plus pauvres. On ne parle pas ici de groupes de pauvres, mais d’initiative citoyenne soutenue par la communauté.

Car, évidemment, on s’attend à ce que la municipalité fournisse un local dans le centre de loisirs par exemple pour les rencontres du groupe et le tri des aliments. On s’attend également à ce qu’un entrepreneur local fournisse un camion qui dort le soir dans le stationnement pour le transport des denrées. On s’attend également à ce que les écoles du secteur ouvrent leurs portes au groupe en question pour informer les parents d’une telle possibilité d’économiser et de partager ensemble d’autres activités. Parce qu’une fois construit un tel réseau d’entraide, les possibilités sont sans limite. On peut acheter en gros chez le quincailler, avoir de meilleurs prix de groupes pour une pièce de théâtre, s’organiser ensemble pour des sorties champêtres, la cueillette des pommes ou des fraises, une partie de sucre ou simplement pour fêter nos réussites. Vous le voyez, les possibilités en matière de coopération sont à la mesure de l’imagination et de la volonté des gens impliqués.

Et on peut répéter l’opération pour s’attaquer à tous les autres problèmes identifiés par les citoyens qui les vivent en coopération avec les organismes qui s’en occupent. On vit un problème régional de décrochage scolaire? Mettons-nous ensemble citoyens concernés, organismes communautaires impliqués et institutions publiques pour trouver des solutions en matière de formation académique qui répondent aux besoins exprimés. Il y a des expériences intéressantes dans le domaine qui pourraient d’ailleurs nous inspirer. Et ainsi de suite avec les autres problématiques que vous aurez identifiées.

À terme, l’exercice devrait aboutir à développer un réseau d’organismes et de citoyens harmonisant leurs efforts et interventions respectifs en fonction d’objectifs communs. Ce réseau d’initiatives et d’organismes constituera également autant de passerelles que pourront emprunter les autres citoyens intéressés.

Une telle expérience est en cours dans un quartier de Montréal, Ahuntsic. Visant le développement social et économique de secteurs plus pauvres ciblés en vue d’y faire reculer la pauvreté dans un échéancier précis, ils nous ont demandé de les soutenir dans un processus de formation préalable impliquant des citoyens du milieu et les intervenants de diverses institutions et organismes communautaires œuvrant sur ce territoire. Le résultat fut très instructif des possibilités qu’un milieu peut découvrir quand il arrive à dépasser les limites respectives de chacun des partenaires impliqués. Si nous avons le temps, nous pourrons en reparler plus tard.

Parallèlement à cette approche de collaboration, il nous faudra oser adopter une approche visant des changements structurants. Par structurant, j’entends des actions qui ne se contenteront pas de modifier le fonctionnement des services offerts, mais des actions dont les effets modifieront des mentalités, des habitudes et des pratiques, à commencer par chacune des nôtres, des actions qui détermineront dorénavant l’agencement des différentes composantes sociales du milieu et la répartition des rôles tels que nous les connaissons.

Mais, pour y arriver, il nous faudra avant tout oser changer de regard sur les personnes que les organismes communautaires et les services publics desservent. Il nous faudra se rappeler que la pauvreté de nos concitoyens est le résultat d’une histoire, souvent triste, d’échecs répétés qui exige pour être contrer l’expérimentation d’une nouvelle histoire faite de petites et de grandes réussites successives que nous devons soutenir et accompagner.

Il nous faudra ainsi envisager la solution aux problèmes d’un individu à partir de la mise en valeur de ses propres ressources individuelles et de sa participation active à l’identification des solutions à ses problèmes et au redressement de sa situation. Pour cela, il nous faudra oser regarder nos clients-usagers par la lorgnette de leurs capacités, de leurs compétences et de leurs habiletés, plutôt que par celle, unique, de leurs problèmes. En clair, il nous faudra oser passer du client au citoyen.

Cette valorisation de chaque citoyen autour de son potentiel nous obligera enfin à oser penser le développement d’un milieu non plus seulement à partir des seules ressources des acteurs communautaires ou institutionnels, mais à partir de réseaux de citoyens que nous soutiendrons, années après années, dans leurs efforts à se reprendre en main et à reprendre en main le développement de leur milieu de vie.

Dans les faits, il nous faudra oser penser autrement les interventions communautaires et institutionnelles en mettant les citoyens concernés au cœur de nos stratégies de développement et en les impliquant à chacune des étapes de l’action afin qu’à terme, ils soient en mesure d’assumer collectivement leur propre développement et celui de leur environnement.

Plus spécifiquement pour les intervenants institutionnels, il leur faudra oser être délinquants quant aux cadres préétablis, car la nécessaire créativité inscrite dans le développement social dépassera toujours par définition ce qui a été prévu par tel ou tel programme ou telle ou telle mission.

Dans une formation que nous donnions aux 21 directeurs des CLE de Montréal, nous leur avions suggéré à cet effet de prévoir, dans leurs habitudes à tout rentrer dans des cases définis, quelques cases vides pour faire une place à la réalité toujours imprévisible, mais oh combien enrichissante des citoyens.

Vous l’aurez compris, ce à quoi nous sommes ici conviés, c’est à oser. Oser se parler pour mieux se connaître. Oser s’explorer mutuellement entre citoyens vivant la pauvreté, acteurs de l’action communautaire, intervenants institutionnels et élus des différents paliers gouvernementaux pour identifier nos possibilités que nous investirons et nos limites que nous chercherons à dépasser. Oser rêver ensemble également. Et oser croire assez à nos utopies devenues collectives pour travailler ensemble à les réaliser.

Chacune des pistes avancées apportera son lot d’inconnu et de questions. C’est en cherchant à leur répondre que nous commencerons à donner forme au changement souhaité et à identifier des pistes concrètes pour les mettre en œuvre.

Le but : dépasser le modèle de société qui crée des exclus et qui s’appauvrit d’autant en se privant de leur expérience et de leur apport pour revenir à une société qui se fonde sur ses citoyens, leur fait confiance et trouve sa force et sa richesse collective dans la participation et les talents de tous et de toutes.

Je vous remercie de votre attention et je nous souhaite de très bons échanges.

Retrouvez le PDF de la conférence ici