• Post category:Conférences
  • Temps de lecture :15 min de lecture

Dessin - plan de lutte pauvreté

Déclaration de la Table de concertation sur la faim et le développement social du Montréal métropolitain sur le renouvellement 2009 du plan de lutte à la pauvreté

Montréal, le 23 novembre 2009

Monsieur le Ministre,

Mesdames et messieurs qui vivez la pauvreté,

Mesdames et Messieurs qui la côtoyez et qui vous en préoccupez

 

Bonjour,

Je me présente : Jean-Paul Faniel. Je suis coordonnateur de la Table de concertation sur la faim et le développement social du Montréal métropolitain, un regroupement de plus de 70 organismes et coalitions d’organismes œuvrant sur le front le plus dramatique de la pauvreté : celui de la faim. Je suis également porte-parole du Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté, section de Montréal et ce n’est pas un hasard. En effet, le travail que nous faisons nous amène à côtoyer à chaque jour la misère humaine la plus inacceptable dans une société aussi riche que la nôtre. Nous sommes ainsi les témoins indignés, mais récalcitrants, de milliers de personnes qui, avec leurs maigres 575. $ par mois de la Sécurité du Revenu et après avoir payé les dépenses incompressibles de loyer, de chauffage, d’électricité et de vêtements, n’ont plus que 50.$ par mois pour se nourrir, quand ce n’est pas moins suite aux coupures. Comment s’alimenter sainement et convenablement avec une somme aussi ridicule ? Pas étonnant que plusieurs d’entre eux aient recours à la charité publique pudiquement recyclée en dépannage alimentaire où ils doivent manger ce que le reste de la société ne veut pas consommer. Nous sommes loin du principe autrefois largement partagé qu’on ne devrait pas donner ce que nous mêmes nous ne mangerions pas.

Nous sommes également témoins et soutenons quotidiennement les efforts que plusieurs de ces personnes déploient pour s’organiser entre eux afin de faire plus avec moins. On voit ainsi plusieurs personnes puiser à même leur dignité pourtant bafouée l’énergie nécessaire pour travailler ensemble à se redonner dans ce carcan social un pouvoir collectif pour reprendre du contrôle sur leur alimentation, améliorer concrètement leur qualité de vie et construire un réseau d’entraide qui brise leur isolement. Ces gens ne sortent pas pour autant de la pauvreté, uniquement de la misère. Aussi, au premier coup dur, comme le réfrigérateur qui brise, une maladie soudaine, des lunettes pour un enfant, revoilà le problème de base posé à nouveau dans toute son acuité.

Nous pourrions passer la journée à faire état du cumul de problèmes que de telles situations engendrent et des effets dévastateurs qu’elles produisent sur la santé physique et mentale d’une portion importante de notre société. Nous préférons vous parler du courage de ces personnes et de leur détermination à travailler à l’amélioration de leur situation et à celle de leurs pairs dont nous avons été témoins tout au long de l’élaboration du projet de loi-cadre pour l’élimination de la pauvreté.

La consultation 2009 pour le renouvellement du plan de lutte à la pauvreté

Encore une fois, le mouvement communautaire se trouve à la croisée des chemins. En effet, le 1er plan gouvernemental de lutte à la pauvreté arrive à échéance et le gouvernement a l’obligation de consulter les représentants des réseaux civils à travers le Québec pour élaborer et mettre en place le second plan de lutte à la pauvreté pour les quatre prochaines années.

C’est dans ce contexte que la Table sur la faim et le développement social du Montréal métropolitain a participé au vaste front commun des différents grands réseaux du milieu communautaire pour identifier les revendications que nous voulons voir inscrire dans ce nouveau plan de lutte et les stratégies que nous mettrons en place pour se faire entendre. C’est également dans ce contexte que nous avons consulté nos membres lors de l’assemblée du 19 octobre dernier pour vérifier leur adhésion à ces revendications et nous assurer que la stratégie et les moyens tactiques proposés correspondent vraiment à leurs possibilités réelles de mobilisation.

Historique

Pour situer l’actuelle consultation, il est utile d’en rappeler l’origine. La loi 112 de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale est l’aboutissement d’une campagne citoyenne d’envergure du Collectif pour un Québec sans pauvreté qui a vu des dizaines de milliers de citoyen(ne)s et d’organismes se mobiliser pour que soit adopté une telle loi, mais qui, également, ne se sont pas contentés de demander une loi au législateur, mais, fait historique, ont eux-mêmes travaillé à écrire un texte de loi qui réponde à leurs attentes.

Évidemment, le résultat fut mitigé. Du côté positif, il est important de souligner que le principal mérite de cette loi est de reconnaître que la pauvreté n’est pas qu’un problème personnel, mais découle en bonne partie d’un contexte social qui implique donc une responsabilité sociétale et gouvernementale.

Il s’agit là d’une victoire importante, eue égard au discours dominant qui responsabilise uniquement l’individu appauvri et propose comme solutions à « son » problème, des approches également individualisantes. Cette loi, adoptée à l’unanimité des partis politiques, crée donc des obligations légales aux différents gouvernements qui se succèderont de se doter d’un plan de lutte à la pauvreté comprenant des mécanismes de supervision et de vérification des résultats.

Il l’oblige également à consulter les différents acteurs sociaux concernés pour l’élaboration de chaque nouveau plan de quatre ans, d’où l’actuelle consultation régionale qui a suivi étrangement la consultation nationale en juin. Habituellement, c’est l’inverse, on finit par le national. Faut-il y voir une volonté de dissoudre les revendications nationales dans les préparatifs des assemblées générales des organismes communautaires et de la proximité des vacances estivales ou encore dans une volonté de concentrer les efforts de lutte à la pauvreté au niveau des initiatives régionales, voire locales ?

La notion de droit

Du côté négatif, le législateur s’est bien gardé d’inscrire cette loi comme découlant d’un droit reconnu, comme le Collectif pour un Québec sans pauvreté l’avait initialement inscrit. Droit à un revenu décent permettant aux individus de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille, droit à l’alimentation, droit au logement, etc., autant de droits que nos gouvernements fédéral et provincial n’ont eu de cesse d’affirmer et de signer dans tous les traités et déclarations internationales. Étrangement, ces droits constituant les fondements mêmes de toute société civilisée ne sont pas reconnus dans notre propre pays et ne sont pas inscrits dans une charte fondatrice du vivre ensemble de notre société. Nos gouvernements se sont plutôt empressés en votant cette loi de l’inscrire dans une approche compensatoire où l’État met un pansement sur les ratés de la société. En fait, s’il avait réaffirmé ces droits dans la loi 112, le gouvernement se serait éventuellement exposé à des poursuites légales afin qu’il applique ces droits. Ce qu’il voulait éviter à tout prix, évidemment.

Aussi, considérant ces engagements internationaux de nos gouvernements, nous réaffirmons haut et fort que nos réclamations se fondent sur la notion de droit, notamment le droit à un revenu décent, à l’alimentation et au logement.

Nos revendications

Si nous avons consulté nos organismes membres, c’est également parce que nous avions concrètement la chance d’être entendu, voire peut-être écouté. Je suis en effet l’un des représentants de la société civile à avoir été convoqué par le gouvernement aux audiences de cette consultation régionale au nom de la Table de concertation sur la faim et le développement social du Montréal métropolitain. Ne bénéficiant que de quelques minutes pour ma présentation, je compte donc m’en tenir aux grandes revendications nationales en soulignant que les revendications plus régionales s’inscrivent dans celles-ci.

Inspirée des demandes du Collectif pour un Québec sans pauvreté et de celles de Faim et Développement social du Québec, la liste des revendications des différents réseaux communautaires nationaux et montréalais est assez exhaustive. Cependant, nous pouvons les classer selon trois grands axes de lutte à la pauvreté :

  • Un revenu décent permettant une sortie de pauvreté
  • Des services universels avec tarifs préférentiels selon le revenu
  • Un accompagnement durable et respectueux permettant aux personnes appauvries de travailler à leur propre développement

a) Un revenu décent permettant une sortie de pauvreté

  • Hausser le salaire minimum pour permettre une sortie de pauvreté et améliorer les normes du travail, soit 10.16$/hre (2007) indexé annuellement.
  • Rehausser les prestations d’aide sociale pour qu’elles couvrent les besoins essentiels et correspondent au panier de consommation, soit 13 267. $/an (2007)
  • Mettre fin au détournement des pensions alimentaires
  • Éliminer les catégories à l’aide sociale

b) Des services universels avec tarifs préférentiels selon le revenu

  • Offrir à tous les citoyens et citoyennes un accès, sans discrimination, à des services publics gratuits, universels et de qualité
  • Ne pas augmenter les services déjà facturés
  • Construire davantage de logements sociaux avec tarifs préférentiels selon le revenu
  • Implanter un système de contrôle des loyers
  • Assurer à tous les gens en situation d’urgence un accès de proximité aux services d’aide alimentaire
  • Assurer une couverture nationale et régionale de l’entraide alimentaire permettant à ces gens d’expérimenter près de chez eux un processus de reprise de confiance en leurs moyens et d’autonomisation de leur vie et de leur alimentation
  • Élaborer un plan de développement de la Mesure alimentaire en milieu scolaire avec tarifs préférentiels selon le revenu pour en arriver à son universalisation et favoriser ainsi une saine alimentation des écoliers et l’égalité des chances dans leur apprentissage académique
  • Élaborer un plan de développement de l’apprentissage culinaire et nutritionnel en milieu scolaire et communautaire pour s’assurer d’une amélioration de leur alimentation et de la collaboration de leur famille
  • Implanter une réforme en profondeur de l’aide financière aux études ayant pour but l’élimination de l’endettement et de la précarité des jeunes adultes.

c) Un accompagnement durable et respectueux permettant aux personnes appauvries de travailler à leur propre développement

  • Éliminer toute obligation pour les personnes de participer à des programmes de réinsertion sociale
  • Assurer aux groupes communautaires un financement équitable et récurrent échelonné sur trois ans leur permettant d’accompagner leurs usagers volontaires dans des parcours d’autonomisation de leur alimentation et de leur vie et, pour ce faire, de garder leur personnel expérimenté en lui assurant l’amélioration graduelle de sa rémunération et des avantages sociaux comparables à ceux de la fonction publique.

Au chapitre du financement des regroupements communautaires régionaux et nationaux

Assurer à ces regroupements un financement équitable et récurrent échelonné sur trois ans permettant

  • L’amélioration de la vie associative de ces regroupements,
  • La couverture des frais de concertation (salle, transport, per diem, etc.)
  • Un service de formation au développement social (développement des personnes et de leurs milieux) pour les intervenants des groupes de première ligne
  • La mise en forme et la circulation de l’information sur les expériences prometteuses en soutien au développement des personnes
  • L’amélioration graduelle de la rémunération de leurs employés et l’attribution d’avantages sociaux comparable à ceux de la fonction publique.

Je vous souligne que ces dernières revendications concernant le financement des groupes communautaires sont ajoutées, d’une part parce que leur travail est étroitement associé à la lutte à la pauvreté et est tributaire d’un rapport de confiance durable avec l’usager que seul permet un tel financement équitable et récurrent et, d’autre part, parce que le gouvernement a annoncé que ce financement allait se calquer sur le plan de lutte à la pauvreté et l’exclusion sociale actuellement en cours d’élaboration.

La capacité de l’État à payer

Une clause de la loi 112 permet cependant au gouvernement de se soustraire en bonne partie à ses obligations et c’est sa capacité financière à soutenir cette couverture sociale. En la matière, il est important de rappeler que cette capacité financière existe bel et bien quand il s’agit de soutenir à coup de dizaines de milliards le milieu financier qui a créé l’actuelle crise. Ajoutons que l’État s’est lui-même appauvri en diminuant drastiquement les impôts et les taxes de vente. De plus, la part des impôts payée par les entreprises et les grandes fortunes s’est totalement inversée depuis les années soixante à leur grand profit et au détriment des petits contribuables qui ont vu leur part considérablement augmenter.

Ajoutons que les évasions fiscales de ces riches sont la norme depuis des décennies, l’ancien premier ministre Paul Martin en étant l’exemple patent, lui dont les bateaux de sa compagnie, la Canadian Steamship Lines, battaient pavillon panaméen pour éviter de payer leur juste dû à l’impôt canadien

Enfin, les scandales financiers à répétition nous démontrent que la connivence entre les pouvoirs publics et leurs amis contracteurs nous font payer collectivement pour les travaux publics une facture de 35% à 40% plus élevée que dans les autres provinces, selon un expert du ministère des transports du Québec interviewé par Radio-Canada. Quand on sait que les seuls investissements prévus de 2008 à 2013 dans les projets d’infrastructure par le gouvernement québécois totalisent pour l’instant 41.8 milliards de dollars, cette surfacturation aux amis du régime se chiffre ainsi à près de 15 à 17 milliards de dollars. Et on ne parle pas des PPP pour la construction des futurs hôpitaux universitaires, formule décriée comme désavantageuse par le Vérificateur général par rapport à la construction conventionnelle moins coûteuse à long terme pour les deniers publics.

Ainsi, on le voit, ce n’est pas l’argent qui manque, mais la volonté gouvernementale d’aller chercher cet argent là où il se trouve et de le distribuer équitablement en services aux citoyens, notamment aux plus pauvres d’entre nous.

Conclusion

Avec les effets dévastateurs que les changements structurels de l’économie et les crises conjuguées financière, économique et alimentaire ont eu sur les personnes appauvries, ce que nous demandons apparaît de plus en plus aux yeux d’une portion croissante de la population comme l’approche globale non partisane la plus finie jusqu’à ce jour pour agir sur la gouvernance du problème. Nos revendications ne régleront pas tout, car, pour cela, il faudrait également agir sur le développement des personnes et de leur milieu. Mais cela aura le mérite immense de mettre un frein à l’appauvrissement.

On dit volontiers que le degré de civilisation d’une société se mesure à la solidarité ou non qu’elle déploie envers les plus fragilisés de ses membres. Si nous avons pu nous doter d’une loi-cadre anti-pollution pour préserver avec justesse nos animaux et nos forêts, nous sommes capables et nous devons nous donner un plan de lutte pour réellement cesser d’appauvrir les plus pauvres d’entre nous.

Le but, dépasser l’actuel état des choses où les personnes pauvres sont maintenues dans un état perpétuel de précarité pour leur permettre de vivre enfin dans la dignité retrouvée et le recouvrement de leur pleine citoyenneté.

Jean-Paul Faniel,

Table de concertation sur la faim et le développement social du Montréal métropolitain

Retrouvez le document en PDF ici